Jeûnes genevois et fédéral : qu'en reste-t-il ?

Allez les Jeûnes !

Demain, à Genève, c'est jour officiel de Jeûne. Et dans dix jours, dans le reste de la Suisse, c'est jour officiel de Jeûne. Est-ce à Genève en hommage aux victimes du massacre de la Saint-Barthélémy, ou d'un massacre précédent à Lyon en 1567, ou d'une épidémie de peste que l'on est supposé jeûner ? Et en Suisse, est-ce toujours pour « consolider la paix religieuse » que perdure le Jeûne fédéral institué par la Diète (un Jeûne institué par une Diète, il y a de la logique là-dedans...) en 1832 ? Soyons franc : tout le monde se fout de savoir pourquoi ces journées de jeûne, que plus personne ne respecte en tant que telles, ont été instaurées. On ne jeûne plus les jours de Jeûne, mais on devrait s'y remettre, pour les raisons qu'on veut. Ou sans raison. Parce qu'un jour sans goinfrerie ne pourrait que nous faire du bien, de quoi que l'on se goinfre le reste de l'année.


Jeûner un jour, se goinfrer un an ?


A jour de jeûne, sermon du Jeûne : Il en va des fidèles chrétiens comme des élus politiques : les premiers font jeûne ou carême comme les seconds font discours (et discours de combat s'il s'agit d'élue-s de gauche, ou appels à la rigueur s'il s'agit d'élus de droite), mais jeûne ou carême passé, et discours tenus, les petits accommodements avec les douces réalités reprennent leur cours. Le jeûne précédera la bouffe, le discours vengeur se dissoudra dans les mondanités, les fraternisations de buvette et les embrassades de bistrot. Saisissons cependant l'occasion d'un semblant de jeûne réduit à ne plus être qu'un jour de congé comme les autres pour nous demander si le temps ne serait pas venu de nous émacier quelque peu... Dans un excellent papier paru dans Le Temps le 22 février dernier, Anne-Catherine Ménetrey-Savary écrit de la décroissance (car c'est bien de cela qu'il s'agit) qu'elle « n'est pas synonyme de pénurie, d'éclairage à la bougie ou de voyages en diligence. C'est un mouvement qui exprime la profonde aspiration des gens à sortir de l'aliénation consumériste et marchande, de la tyrannie de la performance et de la concurrence. C'est construire son identité par sa propre créativité plutôt que par la marque de sa voiture, de ses vêtements ou de son téléphone portable ». Au delà du précepte gandhien « vivre simplement pour que d'autres puissent simplement vivre », ou précisément pour ce que ce précepte implique de changement radical non seulement dans les modes de vie, mais aussi dans les choix politiques (collectifs par définition), les institutions, les régimes de propriété, la décroissance est un projet fondamentalement subversif -un projet de rupture, ce que n'est pas le « développement durable », qui ne fait consensus que parce qu'il se propose précisément de pérenniser ce qui fonde le capitalisme mondialisé. La décroissance, donc. Mais à la condition que soit clairement posé, comme sa condition, le principe d'égalité. Car si les uns peuvent considérablement réduire leur train de vie sans perdre aucune possibilité de concrétiser aucun droit fondamental, d'autres, bien plus nombreux, mais qui ont les mêmes droits et les mêmes besoins, ne le peuvent pas. Tout le monde n'a pas besoin d'une voiture, mais tout le monde a le droit de se déplacer librement. Or tout le monde ne le peut pas. Tout le monde n'a pas besoin d'une télévision format Home Cinema, d'un Ipod et d'un ordinateur portable, mais tout le monde a le droit de s'informer et de se divertir. Or tout le monde ne le peut pas. Tout le monde n'a pas besoin d'une villa, mais tout le monde a droit au logement. Or tout le monde n'est pas logé. Pour la minorité qui a déjà plus que nécessaire, et même plus qu'utile, la décroissance impliquera une baisse du niveau de vie en dessous du seuil où il se traduit par un gaspillage inacceptable et par la privation du droit des autres à tous les droits que l'on s'accorde à soi-même. Mais pour la majorité qui n'a même pas l'indispensable, elle permettrait, conjuguée au principe d'égalité, d'atteindre le niveau d'une vie digne, dans laquelle tous les droits fondamentaux seront concrétisés. Un tel programme est d'abord un programme de rupture sociale, bien avant que d'être une réponse aux limites environnementales de la croissance matérielle. Il ne s'agit pas de « sauver la planète » : quoi que nous en fassions, elle continuera son destin de planète jusqu'à son terme -se faire bouffer par le Soleil. Nous sommes en revanche en train de bousiller son écosystème, c'est-à-dire le nôtre et celui de toutes les espèces vivantes. Cela signifie que si les conditions environnementales d'existence des humains se dégradent, ce sont les plus pauvres d'entre eux qui en paieront le prix le plus lourd, et que les seuls qui auront les moyens de se préserver des calamités que nos goinfreries multiples risquent de provoquer, ce sont précisément les plus goinfres -les plus puissants, les plus riches : nos maîtres. Amen.

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