Liberté de manifestation : On votera sur nos muselières

Le 9 juin, la droite genevoise, toute unie, du PDC au MCG en passant par le PLR et l'UDC, les supposés « centristes » du PDC et de l'ex-parti radical n'étant pas forcément les moins délirants, a imposé au Grand Conseil un durcissement de la loi de 2008 sur les manifestations -une loi déjà fort criticable, bureaucratique, suspicieuse et autoritaire, mais fixant encore un cadre supportable à la liberté de manifester. En modifiant la loi pour y introduire des dispositions qui rendent pratiquement impossible l'exercice de cette liberté, dans le cadre légal et par des organisations légale, sauf à prendre des risques judiciaires et financiers considérables. Les partis de gauche et les syndicats ont lancé, en pleines vacances, un référendum, et l'ont fait aboutir. On votera donc sur nos muselières.

Le droit d'avoir des droits

Amendes jusqu'à 100'000 francs pour toute personne qui organisera une manifestation sans être allé en quémander l'autorisation, ou qui, l'ayant quémandée, ne s'est pas tenu aux conditions qu'elle posait; privation pendant cinq ans de tout droit à organiser une manifestation légale pour tout organisateur, réel ou supposé, d'une manifestation illégale, ou d'une manifestation légale qui aurait « dérapé »; obligation d'organiser un service d'ordre comparable à un service d'ordre policier... La droite a imposé au droit de manifester des restrictions d'une assez rare stupidité (il paraît même que la commission parlementaire n'a auditionné que la police, mais aucun représentants des grandes associations organisatrices de manifestation, les commissaires ne voulant sans doute pas s'entendre dire qu'au prétexte de vouloir faire respecter l'ordre, ils allaient foutre le bordel...), puisqu'elles vont inciter à ne plus organiser que des manifestations illégales, ou à ne prendre la responsabilité d'une manifestation légale que si on est assez pauvre pour qu'une amende ne puisse être perçue. La parade à ces mesures serait en effet assez simple, mais à l'exact inverse des intentions proclamées des partisans de la loi : ne plus demander d'autorisations pour manifester, ne plus négocier de parcours, ne plus annoncer d'organisateurs officiels. Le référendum lancé par la gauche a abouti, le vote ne sera pas facile à gagner devant un peuple soumis depuis des années au matraquage médiatique sécuritaire, mais il s'agit bien là de l'un de ces combats que l'on n'est certain de perdre que si l'on se refuse à le mener, et surtout de l'un de ces combats qui, qu'on le perde ou le gagne, délimite les camps politiques. Le droit de manifester est constitutif de la démocratie, et à la source de tous les droits démocratiques : il est le droit d’exprimer collectivement son opinion, le droit de l'exprimer publiquement, le droit de se rassembler et de se déplacer pour l'exprimer, le droit d’agir politiquement autrement qu’en votant, en élisant ou en se faisant élire. Le droit de manifester n'est rien d'autre que ce même droit par lequel ont été imposés, puis élargis, tous les droits politiques, tous les droits sociaux, tous les droits personnels proclamés par les lois et les constitutions. Aucun de ces droits n’a jamais été conquis autrement que par la manifestation, toujours d’abord illégale, et réprimée, de la volonté de le voir reconnu. Aucun de ces droits n’a jamais été maintenu, ni reconquis après qu’il ait été aboli (comme à Genève le suffrage universel et les libertés communales entre 1815 et 1842-46) autrement que par l’exercice du droit de manifester. Légalement ou non. Et puisque le droit de manifester est un droit fondamental, il n’a pas être soumis au bon plaisir des autorités. Et nous refusons d’avoir à demander l’autorisation de nous exprimer publiquement et collectivement sur le domaine public. Aucun droit n’est garanti par nature, pas plus le droit de manifester que le droit de vote, le droit de grève ou la liberté de la presse. Les droits fondamentaux ne sont garantis que par la pression populaire, citoyenne, pour les défendre ou les rétablir. Nous défendons un droit dont nous faisons usage, mais dont nous ne sommes pas propriétaires. Ce droit est le droit de toutes et tous, et nous entendons d’autant moins nous en priver qu'il est rien moins que «le droit d'avoir des droits» : « Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est pour le peuple et pour chaque portion du peuple le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs » proclamait la Constitution française de l'An II. Les mots sont ronflants, l'époque était lyrique. Ce qu'ils disent, nous devrons le dire autrement, l'époque est précautionneuse, mais nous dirons pas autre chose.

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