Permanence du terrorisme (A propos de la commémoration du 11 septembre 2001)

Dans cinq jours se célébrera, sans doute à grand renfort d'hyperboles compassionnelles, le dixième anniversaire des attentats du 11 septembre aux Etats-Unis. Et on fera comme si le terrorisme était né ce jour là. Comme si les djihadistes l'avaient inventé. Comme s'il n'était pas l'une des plus vieilles méthodes d'action politique. Comme s'il n'était pas aussi l'une des plus vieilles méthodes des pouvoirs d'Etat. Comme si, enfin, à nos franges, à nos marges, au-delà des limites que nous pûmes nous fixer, mais dans notre « mouvance » tout de même, et sans que puissions jurer ne pas avoir été tenté de les suivre, quelques uns ou quelques unes de nos camarades n'avaient pas, eux et elles aussi, fait ce choix-là : le vieux choix de Netchaïev, celui de s'autoriser à tuer pour changer le monde.

"Il faut corriger en espoir le désespoir des terroristes anarchistes ; corriger dans le sens d'une stratégie moderne leur tactique de guerrier médiéval". (Raoul Vanegeim)


On peut rencontrer, sans le savoir, des ombres échappées des années de plomb. Des ombres qui l'étaient déjà dans ces années là, sans domicile fixe, sans visage, clandestins aux cheveux teints, sautant de cache en planque, vivant dans des tanières entre des poubelles, immergés dans un monde détestable, un mode clos, dérisoire, une caricature du monde qu'ils voulaient changer et de la société qu'ils voulaient abattre. La force pour seule justification : « pour le corps, la violence, et pour l'âme, le mensonge », comme le vieux Bakounine en faisait reproche au jeune Netchaïev. C'était le temps des caves et des soupirails, des braquages et des courses-poursuites en bagnole. Un monde de beaufs et de machos obsédés par leurs flingues. Un monde de groupes cloisonnés et haineux, aux discours stéréotypés et aux stratégies absurdes. Terroristes, donc. Mais aujourd'hui, les terroristes occidentaux sont en charpie. Repentis lamentables ou nostalgiques momifiés. Bafouillent des regrets ou bégaient des slogans. Poupées de chiffon ou poupées mécaniques. Le temps est passé où l'on pouvait croire que l'exécution d'un bourreau pouvait venger la mort des victimes. Nombreux étaient déjà ceux qui n'y n'y croyaient pas vraiment lors même qu'ils s'y prêtaient, mais qui avaient eu besoin d'agir, simplement, et étaient allé au plus immédiat, au plus brutal, au plus stupide : éliminer l'adversaire. Et l'adversaire toujours renaissait. Tuer un juge, c'était en faire naître un autre. Abattre un politicien, c'était donner son siège à son lieutenant ou à son concurrent. Descendre un patron, c'était inscrire à l'ordre du jour du Conseil d'administration la nomination de son successeur. A quoi a servi de tuer Moro pour se retrouver avec Andreotti ? Des bourgeois en rupture de milieu s'inventaient des filiations politiques, faute d'en avoir de sociales; fils de notaires parlant au nom du prolétariat, et finissant dans des prisons où les seuls prolétaires étaient leurs gardiens. Les uns après les autres, de plus en plus isolés, de moins en moins compréhensibles, les terroristes sont tombés, abattus ou arrêtés. Quelques uns, salamandres que le feu ne pouvait atteindre, ont glissé entre les mailles des filets. Et puis se sont échappés de toute cette pathologie et ont disparu. Ceux là, peut-être, ont survécu à leurs délires ; mais à quel prix, et dans quel état ? Ils avaient rêvé d'un monde meilleur et avaient vécu un monde pire; ils avaient voulu un monde autre et avaient choisi pour le bâtir les pire moyens du monde dont ils voulaient se défaire. Le temps aujourd'hui est à l'expiation. Ceux qui alors ne juraient que par la lutte armée s'en viennent, contrits et humbles, quand leur séant n'écrase pas quelque siège ministériel ou médiatique, faire une dernière fois leur autocritique, comme tant de fois ils le firent faire à d'autres dans leurs organisations d'avant-garde. Ils sont si nombreux aussi ceux qui vibrèrent aux exploits des brigadistes et qui, oublieux, dénonçent désormais l'ombre de Staline, du Goulag ou des Khmers Rouges dans toute volonté de changement. Hérétiques convertis devenus inquisiteurs. Enflammés ils y a vingt ans, conformistes d'aujourd'hui, et avec d'autant plus de prétention à avoir raison qu'ils ne cessèrent jamais de se tromper.


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