Sortie sur les écrans du « Vol Spécial » de Fernand Melgar : Montrer la réalité, pour la changer

Aujourd'hui, mercredi, sort sur les écrans romands (à Genève, c'est aux Scalas) le film de Fernand Melgar, « Vol spécial ». La Conseillère fédérale Simonetta Sommaruga l'aura vu dimanche dernier. Dans ce film, comme dans le précédent de Melgar, « La Forteresse », Il s’agit de témoigner d’une réalité – le sort des requérants d’asile stockés avant expulsion au centre de Frambois, dans le canton de Genève – de montrer cette réalité, en donnant un visage humain non seulement aux futurs expulsés, mais aussi aux gardiens du centre chargés de rétention. Aux deux victimes d'un système absurde, en somme : ceux sur qui il s'acharne, et ceux à qui il fait faire le sale boulot. Montrer le réel, surtout quand il est écœurant, c'est aussi un appel à le changer.

Ainsi, il n'y aurait donc rien de mieux que le pire ?


En 2010, la Suisse a renvoyé sous contrainte, et par avion, 136 personnes, sur 27 vols spéciaux. De janvier à juin 2011, on a comptabilisé 76 renvois de force (ils avaient été suspendus quelque temps après la mort à Zurich d'un expulsé, pendant son expulsion). Les expulsions forcées de requérants d'asile déboutés, par vols spéciaux de « niveau 4 », où les requérants sont ficelés, menottés, casqués et même langés, sont « la pire des situations pour tout le monde et surtout pour les principaux concernés », convient, dans Le Temps du 17 septembre, Simonetta Sommaruga. Qui ajoute cependant : «Mais si l'Etat renonce à faire appliquer ses décisions (de renvoi), tout le système de l'asile s'écroule et perd sa crédibilité ». Il en a donc encore une ? Et « la pire des situations » serait donc aussi la seule concevable ? Et il faudrait se résigner à ne pas faire mieux que ce pire ? « Ces vols de degré 4 sont difficilement supportables », témoigne Jean-Pierre Restellini, président de la commion de prévention de la torture, et « observateur » de ces expulsions : « Des gens hurlent, se débattent pendant des heures » . Et parfois meurent, en Suisse aussi : en mars 2010 : un requérant d'asile nigérian, débouté et expulsé de Suisse, meurt à Zurich pendant son expulsion. Les « vols spéciaux », suspendus après ce drame,. reprennent le 7 juillet. Par le passage à tabac d'un autre requérant d'asile nigérian. En théorie, ces vols devraient désormais être surveillés par des associations indépendantes (dont les églises protestantes), et un médecin doit prendre le vol, mais aucun observateur indépendant n'était présent lors de trois des cinq « vols spéciaux » partis de Genève en 2011, et dont l'Office fédéral des migrations refuse de donner les destinations, se contentant de dire que les deux vols suivis par des observateurs, partaient pour l'Afrique subsaharienne. Les expulsions ont donc repris, de préférence sans témoins, ou avec des témoins impuissants. « Pour moi, le respect de la dignité et de la sécurité des requérants est primordial », assure Simonetta Sommaruga, sans tenir pour autant jusqu'au bout cet engagement, qui impliquerait la fin des renvois forcés, ce à quoi elle se refuse pour préserver le désormais très hypothétique « crédibilité » de la politique suisse d'asile. « N'oublions jamais que nous parlons d'être humains », plaide la Conseillère fédérale. Oui, mais d'etre humains que l'on traite comme du bétail. Ce sont ces êtres humains que le film de Melgar donne à voir, et à qui il donne la parole. Il la donne aussi à ceux qui sont chargés de les surveiller, dans le lieu de leur stockage avant exportation: le centre de rétention de Frambois, à Genèv, grillagé, barbelé, vidéosurveillé, pour détenir des gens qui n'ont commis autre autre délit que celui de venir en Suisse, et pour les détenir sans autre but que de pouvoir les expulser. Ou, si on ne peut pas les expulser, les relâcher « sur le trottoir » avec ordre de quitter la Suisse dans les 48 heures -ce qu'ils ne feront pas, n'ayant nulle part où aller. Ils étaient déboutés, ils seront clandestins. Et la clandestinité sans moyens de vivre, cela signifie la délinquance pour survivre. « Il faut appliquer les décisions prises par la population », déclare l'«observateur» Mario Annoni. Comme si c'était la population qui décidait des renvois, et pas une administration, couverte par des autorités politiques. Et quand bien même la population en déciderait-elle elle-même ? Le jour où « la population » votera des «lois raciales», continuera-t-on à se faire un devoir de devoir les appliquer ? Accompagner une saloperie, pour vérifier qu'elle se déroule conformément à la loi, est-ce que, « quelque part », ce n'est pas s'en rendre un peu complice, tant qu'on ne la désigne pas par son nom : une saloperie, précisément ?


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