La gauche française majoritaire au Sénat : Une victoire, mais qu'en faire ?



La gauche française a donc conquis la majorité absolue des sièges sous les ors du plus beau des palais de la République : celui du Sénat. Une Chambre haute qui se trouve avoir un statut inférieur à celui de la Chambre basse (l'Assemblée nationale), laquelle a toujours le dernier mot en cas de divergence, mais une Chambre haute qui n'en examine pas moins tous les projets de loi et dispose pratiquement d'un droit de veto sur toute modification de la constitution, à moins d'un référendum. Si cette victoire électorale de la gauche française n'est pas décisive, elle n'en est pas moins, politiquement et symboliquement, importante : unie, cette gauche peut désormais retarder très longtemps, voire bloquer, des projets du gouvernement et du président. Et l'élection présidentielle, c'est dans sept mois.

Dilemmes : vote de conviction ou vote utile, rassembler son camp ou élargir son champ

Depuis son élection à la présidence de la France et les législatives qui ont suivi, le camp de Nicolas Sarkozy a perdu toutes les élections locales, régionales, parlementaires intermédiaires. Toutes, sans exception. Et le PS les a toutes remportées. Toutes, sans exception. Le renouvellement pour moitié du Sénat est donc parfaitement cohérent du parcours électoral de la droite française. Et si l'élection du Sénat se faisauit au suffrage universel direct, au lieu que de se faire au suffrage indirect (les sénateurs sont élus par des élus locaux et régionaux), la victoire de la gauche aurait été encore plus éclatante, et la défaite de la droite encore plus lourde. Mais une victoire automnale au Sénat ne fait pas un printemps victorieux aux présidentielles, et la gauche a encore un assez long chemin à faire pour renvoyer le lapin Duracell dans le coffre à jouets. Sarkozy, candidat à sa propre succession est affaibli, et les socialistes, pas encore sortis de leurs « primaires », peuvent envisager l'avenir avec un certain optimisme, mais reste à savoir s'ils sauront jouer leurs cartes -et surtout, ce qu'ils feraient d'une victoire en 2012. Le PS (puisque lui seul a une chance de se retrouver d'abord au deuxième tour de la présidentielle, puis en position de battre Sarkozy) doit d'abord sortir du cirque qu'il a lui-même organisé -celui de « primaires » dont le principal effet est de dévaloriser l'engagement des membres et des militants du parti, puisque ce ne sont plus eux seuls qui désigneront leur candidat-e à la « plus haute fonction de la République». La gauche en général, et le PS en particulier, se retrouvent face à deux vieux dilemmes : celui qui oppose le vote de conviction et le vote utile, d'une part, et d'autre part celui qui oppose, dans le choix des priorités stratégiques, le rassemblement de son camp (la gauche) ou l'élargissement de son champ par « l'ouverture au centre ». Le système des « primaires » radicalise encore ces dilemmes : François Hollande et Martine Aubry sont donnés comme a priori capables, comme Strauss-Kahn avant-eux, de battre Sarkozy, mais les positions droitières du premier cité n'en font pas vraiment l'incarnation d'une gauche combattive. Un vote de conviction de gauche, aux primaires socialistes, tel que l'auteur de ces lignes aurait envie de le produire s'il pouvait y voter, serait un vote pour Arnaud Montebourg, comme un vote de conviction, au premier tour de la présidentielle, serait un vote pour Jean-Luc Mélenchon... mais Montebourg peut-il battre Hollande, et Mélenchon battre Sarkozy ? Et puis, si l'anticapitalisme proclamé de l'un et de l'autre est réjouissant et le concept de « démondialisation » proposé par Montebourg plein de promesses (du moins si on n'en fait pas le masque de gauche du retour au bon vieux capitalisme national), ni l'anticapitalisme, ni la démondialisation ne sont encore des programmes socialistes. L'anticapitalisme ? comme l'on disait au début du siècle passé de l'antisémitisme qu'il était « le socialisme des imbéciles », on pourrait dire aujourd'hui de l'anticapitalisme qu'il est « le socialisme des impuissants » -des impuissants à imaginer cet « autre monde » dont on scande pourtant la possibilité dans les manifs. On voterait donc Montebourg et Mélenchon, pour pouvoir voter le plus à gauche possible sans gaspiller son vote, et pour pouvoir peser ensuite sur les choix politiques du (ou de la) futur-e candidat-e unique de la gauche. Parce qu'au deuxième tour de la primaire socialiste comme au deuxième tour de la présidentielle, il faudra bien que le vote de conviction du premier tour se transforme en un vote utile au second. Et même, plus qu'un vote utile, un vote indispensable, pour battre Sarkozy. Nos camarades français, socialistes, communistes, gauchistes, et même des anars, ont bien voté Chirac pour renvoyer Le Pen aux quinze pourcent de son socle électoral...

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