Secret de fonction et décret de ponction : Le bâillon ou les menottes ?

Après que l'offensive de la droitunie contre le budget culturel de la Ville de Genève ait été rendue publique (par nous aussi, certes, mais d'abord par les cris de victoire de certain commissaire de droite dans les estaminets), la présidente du Conseil Municipal a envoyé à toutes les conseillères municipales et tous les conseillers municipaux une lettre (au fait : Cette Bulle présidentielle est-elle frappée de confidentialité ou pouvions-nous en faire état ?) nous rappelant que le secret de fonction sur les débats et les votes en commission est imposé par la loi, que le violer tombe sous le coup de l'art. 293 du code pénal et qu'il nous est donc « fait défense de communiquer ou polémiquer sur des débats ou votes de l'une ou l'autre des commissions du Conseil municipal par quelque moyen que ce soit, tant que le rapport de l'objet en question n'a pas été inscrit à l'ordre du jour des séances plénières ». Nous avons donc commis ce qu'il ne fallait pas commettre. Soit. Et alors ? Faute d'avoir pu nous bâillonner, nous menottera-t-on ?

Silence , on coupe...


Nous sommes donc hors la loi. Sans prendre d'ailleurs un bien grand risque puisque nous ne pouvons être privés de notre mandat politique, les Conseillers municipaux étant littéralement irrévocables, indéboulonnables, sauf à les priver de leurs droits civiques. A être éventuellement frappés des foudres de l'article 293 du Code Pénal, on ne risque guère qu'une amende pour avoir parlé ou écrit quand l'officialité exigeait de nous le silence et le secret. Certes, un attachement fétichiste au secret de fonction aurait dû nous interdire de contribuer au dévoilement de votes en commission. Mais lorsque ces votes consistent, par exemple, à priver les théâtres genevois de la moitié de la ligne budgétaire qui, hors subventions ordinaires, leur est attribuée, n'y-a-t-il pas quelque intérêt public à les prévenir de ce qui risque de leur tomber sur la tête, afin qu'ils s'organisent pour y parer ? Et, plus fondamentalement, avons-nous été élus pour nous taire ? Le secret sur les votes et les débats en commission est bien commode pour qui se prépare à ne pas assumer ce qui y a été dit, voté et fait, et se réserver la possibilité de jouer les andouilles ou les vierges effarouchées en séance publique, après avoir (et c'est le cas dans l'épisode évoqué ici) manié la hache, le marteau, la faucille et la scie circulaire dans l'examen d'un budget. La Ville de Genève, ou du moins la majorité politique de la Municipalité, a adhéré au principe de « démocratie participative » et exprimé sa volonté de la traduire dans son rapport à sa population. Au coeur de ce principe, doit-on rappeler qu'il y a celui de la « transparence », que revendiquaient déjà les Communards parisiens de 1871 ? Et que ce principe de « transparence », appliqué aux débats et aux décisions politiques, non à la vie privée de celles et ceux qui y participent, implique le refus des discussions clandestines, des négociations obscures et des délibérations opaques ? Que la droite y soit attachée, à cette clandestinité, cette obscurité, cette opacité, ne saurait surprendre : son pouvoir est à ce prix, et ce n'est pas pour rien qu'elle s'oppose à la transparence du financement des partis politiques. Mais qu'à gauche, le « secret de fonction » fasse encore figure de totem ou de tabou, ne peut que peiner. Et tout cela mesure le temps qui passe : Avant hier, les ennemis de la culture (de toute culture, quelle qu'elle soit, fût-elle « de droite ») sortaient leurs révolvers, ou beuglaient « viva la muerte ! » quand ils entendaient ce mot : « culture ». L'élégance n'y était pas, ni face à Unamuno ni face à Mann, mais la posture était nette, et l'aversion franche. Le temps passe : ce qui se disait au grand jour devrait désormais se dire dans la brume des séances de commission pour se taire ensuite, ce qui se clamait urbi et orbi requiert aujourd'hui le secret de fonction, et la revendication clamorosante de l'inculture le cède à la pathétique mesquinerie des petites vengeance post-électorales. La gauche a la droite qu'elle mérite (la réciproque n'étant pas exclue), mais qu'avons nous bien pu faire à notre propre histoire pour ne mériter la droite que nous avons ?

Commentaires

Articles les plus consultés