Démission de Berlusconi : Les marchés m'ont tuer...

Un présumé socialiste grec acquis aux politiques libérales et un présumé libéral italien acquis à ses propres monopoles renvoyés en une semaine de leurs chefferies gouvernementales : joli tableau de chasse européenne. Qui a fait tomber Berlu ? Le peuple italien ? les « Indignés » italiens ? La gauche italienne ? Non : « les marchés ». Et les alliés de Berlu au gouvernement. Et quelques chefs d'Etat et de gouvernement européens, à commencer par Merkel et Sarkozy. Et la Banque centrale européenne, et le Fonds monétaire international. Berlusconi n'a pas été renversé par la mobilisation, en Italie, d'un mouvement populaire : il a été lourdé par la droite et la finance italiennes et européennes, une semaine après que Papandreou ait subi le même sort. Congédiés l'un et l'autre comme des domestiques surpris à faucher les petites cuillères. On est dans Labiche, pas dans Machiavel.

Chiodo scaccia chiodo


Berlusconi démissionne, et l'Italie sera gouvernée, pour un temps, par un cabinet présidé par un « technicien apolitique » (comme si le chef d'un gouvernement pouvait être « apolitique »...) chargé d'appliquer les politiques d'austérité que Berlusconi n'était plus en mesure d'appliquer. En clair : faire payer aux Italiennes et aux Italiens la dette publique de l'Italie. On n'attendra pas de nous que l'on verse quelque larmichette sur le sort du Chef du gouvernement italien, poussé vers la sortie par une partie de sa majorité, les « marchés » et ses copains de la zone euro. L'éloge de Berlusconi, Poutine s'en est chargé. Mais nous nous autoriserons tout de même quelques interrogations et quelques doutes sur les conditions de cette sortie, sous les huées d'une foule qui n'avait pu le faire partir elle-même et qui se trouve réduite à saluer son congédiement. On ne regrettera évidemment pas la chefferie berlusconienne du gouvernement italien : elle n'avait que trop duré, et nous sommes de ceux qui considérons que l'Italie, où après tout la politique au sens moderne du terme fut inventée, à Rome, à Florence ou à Venise, avant même que l'Italie existât en tant qu'Etat, méritait mieux que le pitre, qui la gouverna pendant dix-sept ans. « Berlusconi laisse l'Italie dans l'Etat où il l'avait trouvée », titre Le Monde. Mais c'est encore tirer un bilan optimiste de ces dix dernières années de bunga bunga politique -ou plutôt apolitique : Berlusconi n'était « ni de gauche, ni de droite » : il était là où ses intérêts les plus triviaux, ceux de sa bourse ou ceux de ses bourses, le conduisaient; Il promettait de réduire les impôts, il les a augmenté. Pour les autres. Il promettait de faire rentrer les impôts -il fraudait. Il promettait de réduire les inégalités entre le nord et le sud de l'Italie, il les a accrues -il est du bon côté : le nord. Il promettait de réformer la justice -il l'a muselée pour y échapper. Il dénonçait la mainmise des partis (de gauche) sur les media, mais il possède trois chaînes de télévision, une maison d'édition et quarante journaux. Et quelles leçons de politique pourrions-nous donner aux Italiens ? Ce sont eux qui nous en ont données, une fois de plus. Car ce que Berlusconi a fait de l'Italie, d'autres le font d'autres pays -le nôtre y compris. Et si Berlusconi quitte la présidence du gouvernement italien, il ne quitte pas forcément le champ politique italien qu'il laboure depuis vingt ans. Et la Berlusconerie reste une province de la politique italienne, comme la Blochérie un canton suisse, ou la Sarkozie une région française : autant d'espaces où la politique est réduite à ce que «les marchés » peuvent en supporter, c'est-à-dire pas grand chose : un peu de pain, beaucoup de jeux, et le moins possible de décisions qui aient un sens, des effets, un contenu. Le culte de la performance individuelle mesurée en espèces sonnantes et trébuchantes, le culte de l'apparence où le botox, la moumoute et les talonnettes valent plus que les idées et les programmes, et pour le reste, le spectacle et le sport. C'était cela, la berlusconerie, et c'est cela aussi, de plus en plus, chez nous aussi, dans le champ politique. Et de cela, nous sommes aussi responsables, par notre incapacité à y résister efficacement, que les Italiens le furent de Berlusconi : il y a des aliénations aussi volontaires que la servitude qu'observait La Boëtie, dont il nous adjurait de nous défaire et dont un demi-millénaire plus tard, nous ne nous sommes toujours pas dépris.

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