D'une élection l'autre : au tour du Conseil fédéral

La concordance des canards

Alain Berset, Pierre-Yves Maillard, Stéphane Rossini, Marina Carobbio : tous quatre étaient candidate et candidats à la succession de Micheline Calmy-Rey pour le deuxième siège socialiste au sein du gouvernement fédéral. Un siège qui n'est plus contesté par la droite, mais dont la ou le titulaire sera désigné par un parlement fédéral à large majorité de droite. « Avec Alain Berset et (Simonetta) Sommaruga, le PS restera brave, ennuyeux et bien adapté. Ce ne sera pas très bon pour lui », ronchonne dans son coin du « Temps » un hôtelier haut-valaisan. Le ronchon ronchonne à raison -mais en choisissant la concordance contre la coalition, le PS a aussi accepté d'en payer le prix : sa neutralisation. Quitte à avoir des socialistes au Conseil fédéral (on préférerait qu'il n'y en ait point, mais enfin, le parti, lui, préfère qu'il y en ait), on aurait choisi plutôt Maillard et Carobbio que Berset et Sommaruga -mais notre modeste avis est d'un modeste poids : ce sera Berset et Sommaruga.

Concordance arithmétique, concordance programmatique et attrait de la mangeoire

Dans une tribune donnée au Temps, le Maire de Genève, Pierre Maudet, plaide intelligemment pour « réinjecter une dose de politique » dans la formation du gouvernement de ce pays. Ce serait passer de la « concordance arithmétique » à une « concordance programmatique », fondée sur un accord politique entre les formations gouvernementales. C'est pour ce passage que plaide également le président du PS, Christian Levrat, qui imagine une grande coalition, en tout cas parlementaire (et plus si entente ?) entre le PS, les Verts et le « centre » (Verts libéraux, PBD, PDC) pour faire passer des projets communs, et pour Pierre-Yves Maillard, la course au Conseil fédéral doit être l'occasion d'un débat sur les alliances et le projet politique. Une majorité parlementaire différente, une coalition gouvernementale ? Pourquoi pas ? Mais la politique suisse en est-elle capable, et ses institutions sont-elles d'ailleurs faites pour cela, faire de la politique ? La «concordance arithmétique» avec laquelle il faudrait rompre tient en une formule (cuvée 1959, lors du retour du PS au Conseil fédéral) d'une simplicité qui confine au simplisme : les trois partis les plus forts, électoralement parlant (mais on pourrait tout aussi bien se référer à leur force parlementaire) ont droit chacun à deux des sept sièges gouvernementaux, le septième siège revenant au quatrième parti par ordre de résultat électoral ou de force parlementaire. Ce qui, dans la configuration actuelle, nous donnerait deux udécistes, deux socialistes, deux radelibes et un-e démochrétien-ne : Pour faire quoi, ensemble, lorsque sur les enjeux les plus lourds, leurs positions divergent fondamentalement ? Et un parti politique fait-il « partie »du gouvernement parce que l'un-e des siens y siège ? L'UDC est-elle « gouvernementale » parce qu'Ueli Maurer est conseiller fédéral, et le PS, «gouvernemental» parce que deux des siennes sont ministres ? Les quatre partis représentés au Conseil fédéral représentent certes, mais en les additionnant, les deux tiers de l'électorat... Et alors ? Cette addition ne représente en rien les rapports de force au sein d'un parlement où ni la gauche (PS et Verts), ni la droite de la droite (UDC et PLR), ni le « centre » (c'est-à-dire la droite la moins à droite : PDC, Verts libéraux, PBD...) ne sont majoritaires. Et pourquoi accorder au PLR, qui ne pèse plus que 15 % des suffrages aux élections fédérales, deux sièges sur sept au gouvernement, alors que le «centre» avec 23 % des suffrages devrait se contenter d'un seul siège si la PBD Widmer-Schlumpf n'était pas réélue? La « concordance arithmétique » est ainsi à la fois arbitraire et politiquement sans contenu : arbitraire, puisqu'elle accorde à un parti (le PLR) une représentation qu'il ne mérite, arithmétiquement, pas; politiquement sans contenu, puisqu'elle agrège dans une fausse coalition des forces politiques aux projets contradictoires. Et puis, pourquoi pas un(e) Conseiller(e) fédéral(e) Vert(e), puisque les Verts pèsent électoralement plus de la moitié du PLR et presque deux plus que le PBD de la Conseillère fédérale Widmer-Schlumpf ? Les Verts seraient-ils subversifs ? Foutaise : ils ont largement prouvé, par leurs magistrats cantonaux, qu'ils sont au moins aussi gouvernementaux que le PS... Le boulier qui tient lieu de ligne politique à la plupart des formations gouvernementales, s'il ne permet guère l'élaboration d'une ligne politique crédible, permet en revanche tous les calculs. A condition de savoir compter : les Verts, le PS, le «centre» : cela fait une (faible) majorité électorale et parlementaire. Ne resterait plus qu'à répondre à l'obsédante question : pour faire quoi ?

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