Genève peut-elle soutenir d'une main ce qu'elle condamne de l'autre ? « La question ne sera pas posée »

Est-il opportun, cohérent, défendable que la Ville de Genève soutienne, par le biais d'un concert une organisation (le Keren Kayemeth Leisraël, KKL, ou Fonds National Juif) qui, concrètement, sur le terrain est l'instrument d'une politique que la même Ville de Genève condamne en soutenant un plan, l'«Initiative de Genève», qui veut y mettre fin ? La question aurait dû être posée au Conseil Municipal hier soir, par le biais d'une motion urgente déposée par sept conseillères municipales et conseillers municipaux de gauche, motion que le bureau du Conseil municipal, soutenu par tous les chefs de tous les groupes parlementaires -sauf une- a refusé de soumettre au vote du Conseil, sous les prétextes les plus divers dont celui, franchement ordurier, que la demande faite par la motion relèverait de l'antisémitisme. La question de la cohérence entre les discours et les actes de la Ville ne sera donc pas posée.

« Si je ne suis pas pour moi, qui le sera ? Mais si je ne suis que pour moi, que vaux-je ? »
(Talmud, Abot, Mishnah)

La Tribune de Genève d'hier nous annonçait que Micheline Calmy-Rey, ci-devant présidente de la Confédération et ministre des Affaires Etrangères, était pressentie pour présider un comité de soutien à l'« Initiative de Genève »* pour la paix en Palestine. Si elle accepte, sachant que cette initiative est radicalement, et fondamentalement contraire à la politique dont le KKL est l'instrument (il se définit lui-même comme « le bras exécutif du peuple juif pour la rédemption et le développement de la terre d’Israël », pour «resserrer les liens entre le peuple et sa terre, et développe(r) ainsi le sentiment d'appartenance et d'amour d'Eretz Israël »...) Calmuche sera-t-elle accusée d'antisémitisme ? Sans doute, puisque dans son discours à la réunion de l'«Initiative de Genève»* , mardi, elle a clairement dénoncé la colonisation de Jerusalem-Est et de la Cisjordanie comme sapant « les efforts de ceux et celles qui essaient de renouer les fils de la confiance entre les peuples ». Et les signataires israéliens de l'Initiative seraient aussi antisémites, alors que, juifs ou non (c'est-à-dire croyants ou non), mais Israéliens, ils sont sionistes, et le sont au moins autant, et avec au moins autant de cohérence, que leurs contempteurs, en Israël ou ailleurs. Nous ne sommes nous-mêmes, ici ni plus, ni moins antisionistes que généralement, antinationalistes. Le sionisme est en effet, tel que l'ont conçu ses fondateurs, à commencer par Theodor Herzl, un mouvement national, né au même moment, en Europe, que des dizaines d'autres. le mouvement d'émancipation d'une nation tel que la définissaient les austromarxistes : une communauté de culture (le judaïsme et tout ce qui, même ne relevant plus de la religion, en est issu) et une communauté de destin (la persécution). Ce mouvement national a été essentiellement porté, jusqu'à la création de l'Etat d'Israël, par des femmes et des hommes de gauche, issus, notamment, du Bund, le grand mouvement socialiste juif d'Europe centrale et orientale. Mais il est arrivé à ce mouvement national ce qui est arrivé à tous ceux qui ont atteint leur objectif, créer un Etat : il lui est arrivé qu'il est devenu précisément un pouvoir d'Etat. Et que ses composantes, dont le KKL, sont devenues, « objectivement », des appareils d'Etat. Et que lorsque cet Etat, né de ce mouvement national, mène une politique de colonisation et de ségrégation, ces organisations du mouvement national -en l'ocurrence, mais en l'ocurrence seulement, et non en essence, ces organisations sionistes- deviennt des instruments de cette politique de colonisation et de colonisation. Ces précisions ne suffiront sans doute pas pour calmer les cons et éclairer les analphabètes, mais tant pis. Ils sont d'ailleurs si confortablement lovés dans leurs idées courtes et leurs simplismes lourds que la force de les en déloger nous manquerait. La veille du soir où la question de la cohérence entre les paroles et les actes de la Ville de Genève n'aura pas pu être posée au Conseil Municipal, les promoteurs de l'« Initiative de Genève* » présentaient, à Genève précisément, la deuxième version de ce plan, que la Ville de Genève soutient. Micheline Calmy-Rey a conclu cette présentation par un appel : « Pensons l'impensable ! » . il semble que, pour nombre de petits chefs du Conseil municipal de la Ville de Genève, penser à la cohérence entre les discours et les actes de la Ville de Genève relève, précisément, de l'impensable. C'est en tout cas un exercice hors de portée de ceux pour qui toute critique de la colonisation israélienne de la Palestine relève de l'antisémitisme, alors qu'elle n'exprime que de l'anticolonialisme.

* en traduction française sur www.france-palestine.org/IMG/pdf/texte_geneve.pdf et en anglais sur www.geneva-accord.org/

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