Journée Mondiale de l'Alimentation : Des peuples en faim de droits

Lundi se célébrait la « Journée mondiale de l'alimentation ». A Rome, l'ONU avait réuni chefs de ses agences et personnalités internationales autour du thème (et d'un buffet dinatoire ?) « Prix alimentaires- de la crise vers la stabilité » ). Et A Genève, le lendemain, Jean Ziegler présentait son dernier bouquin*, « Destruction massive », sous-titré en hommage à Josué de Castro, « géopolitique de la faim ». Cela fait maintenant 65 ans qu'a été lancée, par l'ONU, la première campagne mondiale contre la faim. Et la faim est toujours là. Non comme une fatalité mais comme la conséquence de choix politiques et économiques qui excluent 35 millions de personnes chaque année, et un enfant toutes les cinq secondes, du droit à vivre. L'humanité a toujours faim du droit à ne pas mourir de faim.

« La faim est faite de main d'homme »


Le Directeur général de l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), Jacques Diouf, a déclaré qu'il était nécessaire d'investir plus de 80 millions de dollars supplémentaires chaque année dans le secteur de l'agriculture pour assurer la sécurité alimentaire de la planète en 2050, et que « La raison sous-jacente de l'impact dévastateur de la flambée et de la volatilité des prix des denrées alimentaires sur les populations les plus défavorisées est un manque d'investissements et une négligence du secteur de l'agriculture depuis plus de 20 ans ». Certes. Mais quelle est la « raison sous-jacente » de ce manque d'investissements et de cette négligence, alors que «le monde a les connaissances et les ressources financières nécessaires pour assurer la sécurité alimentaire pour tous », un objectif vieux de deux tiers de siècle, mais que la famine est aujourd'hui la première cause de mortalité dans le monde ? Jean Ziegler répond* : « la faim est faite de main d'homme », elle ne relève d'aucune fatalité, mais de choix délibérés, ceux de l'OMC, du FMI, de la Banque Mondiale, des multinationales, et en particulier de ces sept grands trusts qui contrôlent 85 % du « marché » alimentaire. Parce que nous sommes toujours dans un monde où, quoi qu'en ait proclamé l'ONU, l'alimentation n'est pas un droit, mais un marché. Où les prix explosent (celui du maïs et celui du riz ont doublé), et où les capitaux et les profits des grosses sociétés de l'agroalimentaires ne cessent de gonfler -mais où le Programme Alimentaire Mondial a perdu la moitié de son budget et où l'on refuse l'accès des affamés aux camps installés pour les accueillir, en Afrique orientale, parce que l'approvisionnement de ces camps est insuffisant et qu'on n'y déstribue déjà que des rations inférieures de moitié au minimum nutritionnel vital. Le directeur général de la FAO demande 80 millions de dollars de plus -c'est une paille, 80 millions de dollars, ce n'est jamais que 7% du budget municupal genevois, mais c'est apparemment encore trop pour les grands Etats cotisants à la FAO et au PAM, qui ont pourtant sorti de leurs caisses des dizaines, voire des centaines de milliards de dollars, d'euros ou de francs suisses pour renflouer leurs banques. Une question de choix, donc : entre les banques et les affamés. Et, sur le terrain, entre les cultures vivrières qui permettraient de nourrir les populations locales, et les cultures nécessaires à la production d'agrocarburants qui ne nourrissent que des moteurs de bagnoles, mais qui sont infiniment plus rentables... En 2050, il y aura deux ou trois milliards d'habitants humains en plus sur terre. Combien ne mangeront pas à leur faim, combien en mourront ? La crise de 2008 a produit 110 millions de pauvres supplémentaires. Celle de 2010, encore 70 millions de plus. La production alimentaire mondiale actuelle permettrait de nourrir toute la population mondiale actuelle, mais la famine continue de tuer. La production alimentaire mondiale estimée en 2050 permettrait de nourrir toute la population mondiale en 2050, mais la famine continuera de tuer, si l'« insurrection des consciences» à laquelle appelle Ziegler ne débouche pas sur un peu plus qu'une indignation : un renversement des choix politiques et économiques.


* Jean Ziegler, Destruction massive, géopolitique de la faim, Seuil, Paris, 2011

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