Quelle « Libye nouvelle » ?

Après Kadhafi, les repentis du kadhafisme...

Pour Amnesty International, la mise à mort de Kadhafi est un crime de guerre dont les responsables doivent comparaître en justice, et pour le Prix Nobel de la Paix Desmond Tutu, cette mise à mort est « en contradiction avec la noble entreprise visant à instaurer dans ce pays une culture des droits de l'homme et de la démocratie ». Pour le moins, en effet, mais outre que les dictateurs, quand ile ne meurent pas benoîtement dans leurs lits, meurent généralement assez salement, à la Mussolini, l'instauration de la démocratie et des droits de l'homme est-elle bien le projet du nouveau pouvoir libyen, ou ce projet se résume-t-il précisément à garder le pouvoir pris grâce à l'OTAN ? Et sur qui va reposer ce « nouveau pouvoir » ? Kadhafi mort, les forces qui le soutenaient (car il y en avait, et qui ne se réduisaient pas à quelques centaines de mercenaires sub-sahariens -dont l'existence a d'ailleurs justifié de véritables pogroms « antinègres » dans toute la Libye insurgée) n'ont pas disparu dans les sables.

Du printemps à l'automne, de Kadhafi à la Charia et du sabre au goupillon

Une dictature ne se réduit pas à un homme, ni à sa famille : une dictature, c'est aussi un appareil d'Etat, une police, une armée, une administration, des « intellectuels organiques» pour chanter ses mérites et des enseignants pour les enseigner... On veut bien que Kadhafi soit devenu, après avoir été un potentat avec qui négocier, l'incarnation du Mal -mais le Mal banal que Hannah Arendt voyait en Eichmann n'est pas mort dans le lynchage du Guide. Une dictature ne tient pas toute seule, ni par la seule violence et la seule oppression : elle tient aussi par la connivence d'une partie de la société, et par la soumission volontaire d'une partie de la population. Une soumission qui s'achète : des Libyens ont prospéré sous Kadhafi. Et puis, une dictature, c'est un étau : ça tient ensemble des pièces (la Tripolitaine et la Cyrénaïque, par exemple) qui, peut-être, se sépareraient sans elle. Bref, la Libye de Kadhafi, ce n'était pas seulement la famille de Kadhafi. Et dans la Libye de l'après-Kadhafi, la plupart de ceux qui avaient soutenu, avaient profité, s'étaient accomodés du régime renversé, sont toujours là. Qu'ils aient retourné leurs gandouras participe d'un exercice connu, vieux comme les révolutions et les changements de régime : de Gaulle au pouvoir en 1944 s'appuie sur l'administration et la police de Vichy plus encore que sur les forces de la Résistance intérieure. Et Papon, organisateur des raffles de juifs à Bordeaux, sera quinze ans plus tard organisateur des ratonnades d'Algériens à Paris. Les changements de régime sont des changements de tête, même dans les révolutions : on coupe celle du roi, parce qu'il est le roi et qu'il a, comme le résumait Saint-Just, commis le crime de régner et de s'abstraire de la Nation en prétendant être au-dessus d'elle... mais en passant de la monarchie à la République on n'abolit pas l'Etat, si on le peuple d'un personnel nouveau. Et les véritables « insurgés» libyens, ceux qui n'ont pas attendu pour prendre les armes que Kadfhafi quitte Tripoli pour Syrte, risquent d'être, comme bien d'autres avant eux, dans bien d'autres révolutions, les cocus de l'histoire : le «nouveau pouvoir », le Conseil National de Transition, est peuplé d'anciens responsables du régime de Kadhafi, comm ses deux dirigeants, Abdeljalil et Jibril. Quant à l'avènement de la démocratie, si avènement il devait y avoir et se traduire par des élections libres, il devrait, logiquement, se traduire, comme en Tunisie, par une victoire de la plus ancienne des forces d'opposition, celle qui a été le plus durement frappée par la répression : les islamistes. Le « nouveau pouvoir » libyen n'a pas été le dernier à le prévoir et à prendre quelques longueurs d'avance: « nous avons adopté la charia vomme loi essentielle et toute loi qui violerait la charia est légalement nulle et non avenue», a annoncé Moustapha Abdeljalil. Du printemps arabe à l'automne, de Kadhafi à la charia et du sabre au goupillon, en somme...

Commentaires

Articles les plus consultés