Samedi 26 novembre, « journée sans achat » : Parce qu'une vie ne s'achète pas...

Demain, dernier samedi de novembre (on nous pardonnera cette concession à la normalité grégorienne), nous célébrerons, comme chaque année depuis bientôt vingt ans, la « journée sans achat ». Nous la célébrerons chacun à notre manière, cette journée de résistance au consumérisme, lancée pour s'interroger «collectivement et pacifiquement» sur le sens de notre soumission volontaire aux injonctions de la société de consommation, et sur les conséquences de cette soumission: épuisement des ressources naturelles, accroissement des pollutions industrielles, perte du lien social, omniprésence de la publicité. Et surtout, oubli de cette évidence ontologique : une vie ne s'achète pas.

« Voici venu le temps d'affirmer que l'inutile crée de l'utilité, que la gratuité crée de la richesse, que l'intérêt ne peut exister sans le désintéressement » (Bernard Maris)


« La cause principale de la dégradation continue de l'environnement mondial est un schéma de consommation et de production non viable, notamment dans les pays industrialisés, qui est extrêmement préoccupant dans la mesure où il aggrave la pauvreté et les déséquilibres » : ainsi s'exprimait en 1992 la déclaration finale du « Sommet de la Terre », à Rio de Janeiro. Et un plan de « développement durable » (l'Agenda 21) plus tard, on n'est toujours pas sorti du « schéma de consommation et de production non viable », et le « développement durable » apparaît pour ce qu'il est : une tentative de sauvegarder l'essentiel de ce schéma, d'en pérenniser les « lois » fondamentales -à commencer par celle du profit, et celle de la propriété privée des moyens de production, et à continuer, tout de même, par le consumérisme -Un consumérisme que le «développement durable» n'envisage nullement de combattre, s'il promet de le réguler. On ne sortira pas ainsi de cet ordre marchand où la vie privée est privée de vie en devenant elle-même marchandise, et où la marchandise devient en elle-même, un rapport de production lorsque sa valeur d’usage est toute entière contenue dans le fait de la posséder -qu’on en use ou non, et quoi qu’on en fasse, à moins qu’on la détruise sans rien en faire. Or l’objet (ou le service) comme signe d’appartenance est plus qu’un objet ou un service: il est à la fois la matérialisation et l’essence du lien social -il est ce lien social. Cette socialisation de la marchandise est la marque du capitalisme socialisé, non comme une réalité économique, mais comme une norme sociale. Car il n’y a pas de réalité économique –il n’y a que des conventions économiques. Et une convention peut se rompre. Et on peut donc se délivrer de la marchandise, la détruire -la détruire en tant que marchandise, c’est-à-dire détruire sa valeur d’échange, en ne payant pas cette valeur. Reste sans doute ensuite, l’exploitation ainsi niée, à nier aussi l’aliénation : c’est la pratique de la consumation, contre la consommation, qui y pourvoirait. Après tout, rien n’empêche le pillage, que la menace de la sanction légale. Et les technologies de communication dont nous disposons nous permettent de moderniser agréablement la vieille pratique anarchiste de la «reprise individuelle», par le début du commencement de l'instauration d'un règne succédant à celui de la marchandise : le règne de la gratuité. C'est ainsi que dès lors que le capitalisme contemporain extrait sa valeur en exploitant le savoir plus que la force physique, les détenteur des compétences théoriques constitutives d’une plus-value peuvent, par les nouveaux moyens de communications subvertir le système fondé sur cette plus-value en généralisant tous les savoirs et toutes les compétences possibles –et en pouvant de surcroît le faire anonymement : le jour où la formule du Coca-Cola aura été lancée sur l’internet, les producteurs du breuvage pourront numéroter leurs abattis boursiers. De plus, l'insoumission individuelle n'est pas la seule ressource dont nous disposons : tout mouvement de lutte collective peut préfigurer le règne de la gratuité en l’instaurant sur le terrain même où il se (dé)mène : distribution des stocks des entreprises occupées, ou gratuité des services publics en grève (le mouvement ne consistant plus à cesser le travail et à immobiliser le service public, mais à cesser d'imposer une valeur monétaire d’échange à la prestation proposée). Grèves de la perception ou du paiement des loyers, ou des impôts, gratuité des transports publics, peuvent être des armes des travailleurs autant que des consommateurs, les premiers cessant d’être des salariés du moment même où ils cessent de demander paiement pour ce qu’ils produisent, les seconds cessant d’être des consommateurs du moment même où ils décident de ne plus payer ce dont ils usent. Et tous cessant d'être des marchandises pour devenir des humains. On rêve? Et alors ? Même privée de vie, la vie privée ne l'est pas de rêves. Eveillés. Nous rêvons donc d’un gigantesque autodafé de tout ce qui symbolise et manifeste le désir de posséder une marchandise, ce désir attestant de l’adhésion absolue de son sujet aux normes sociales de comportement.

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