9 novembre 1932 + 79 : Pour mémoire, au cas où...

Le 9 novembre 1932, il y a 79 ans, l’armée suisse tirait sur des manifestants protestant contre la tenue d’un meeting fasciste : treize personnes furent tuées à Plainpalais. Nous nous donnons un devoir de mémoire. Comme chaque année, on s'est donc retrouvés une petite centaine sur la plaine de Plainpalais, nul d'entre nous n'ayant vécu l'événement que nous commémorions, pour nous souvenir de ce jour où « notre » armée a tiré dans le tas d'une manifestation antifasciste à Genève. Et nous avons proclamé haut et fort : « plus jamais ça ! ». Enfin... plus jamais ça peut-être, ici, chez nous (et encore...). Parce qu'ailleurs, en Syrie par exemple...

« Il était une fois, dans la bonne ville de Genève »

Petite pause de fin de semaine, on va vous raconter une belle histoire, venue du « Temps des Passions» se rappeler à notre souvenir, en notre temps sans passions : « Il était une fois, dans la bonne ville de Genève »... Novembre 1932 : depuis trois ans, comme partout en Europe c’est la crise économique et sociale. Et politique. A Genève, le taux de chômage atteint presque 10 %, mais moins du quart des chômeurs sont indemnisés. Les autres survivent de la charité privée ou de la solidarité mise en oeuvre par les syndicats. Depuis dix ans le fascisme règne en Italie, Salazar gouverne au Portugal, et en Allemagne Hitler se prépare à prendre le pouvoir. L'Ordre politique national (un parti fasciste) et l'Union de défense économique (la droite de la droite libérale) ont fusionné dans l'Union Nationale, qui siège au Conseil d'Etat et dont le chef, Georges Oltramare, mime le fascisme en rêvant de l'instaurer ici. Ses défilés en uniforme et bras tendus ont une cible politique précise, en sus des habituels boucs-émissaires juifs et franc-maçons : le Parti socialiste de Léon Nicole, et avec lui, tout le mouvement syndical et toute la gauche genevoise, des communistes aux anarchistes. Le PS, qui est le plus fort parti de la République (il a 37 sièges au Grand Conseil...) n'est plus représenté au gouvernement. Le scandale de la Banque de Genève, en 1931, va lui donner l'occasion de dénoncer les turpitudes de la majorité de droite et d'extrême-droite : il le fera sans ménagement. Cette combattivité, et la puissance d'un parti socialiste capable de rassembler des milliers des personnes sur la plaine de Plainpalais, sème la panique à droite. L'Union nationale va s'emparer de cette peur : le 5 novembre, elle organise une « Mise en accusation publique des sieurs Nicole et Dicker » (Jacques Dicker, l'un des chefs du PS, aux côtés de Léon Nicole, est aussi la cible constante d'attaques antisémites) pour le soir du mercredi 9 novembre dans la salle communale de Plainpalais. Le Parti socialiste demande l’interdiction de l’assemblée de l’Union Nationale, le Conseil administratif de la Ville, puis le Conseil d'Etat refusent, le PS décide donc d'appeler à une contre-manifestation. De plus en plus paniqué, le Conseil d'Etat appelle le Conseil fédéral au secours : « Envoyez-nous l'armée, les Rouges veulent prendre le pouvoir ! ». Berne envoie 610 soldats, des recrues absolument dénuées de toute formation au « maintien de l'ordre ». Au soir du 9 novembre, l'assemblée de l'Union Nationale se tient dans une salle communale assiégée par les manifestants de gauche. Une compagnie se rend sur place, et traverse la foule des manifestants qui désarme une vingtaine de soldats. Leur chef, le major Perret, donne l'ordre de tirer à balles réelles. Ordre suivi : on tire dans le tas. En quelques secondes, 13 personnes sont tuées et 65 sont blessées. Les jours suivants, Genève sera occupée militairement par l'armée suisse, Léon Nicole et ses camarades, rendus responsables de la « bavure » militaire, seront traduits devant les Assises fédérales, et condamnés. Et un an plus tard, le PS gagnera les élections, et obtiendra la majorité à lui seul au Conseil d'Etat, avec quatre sièges sur sept. Dont un pour Léon Nicole, tout juste sorti de prison. Toute ressemblance avec ces événements, fort brièvement résumés ici, et la situation présente, ne serait évidemment que fortuite. Evidemment. Mais n'en perdons pas la mémoire pour autant : souvenons-nous que notre glorieuse armée suisse ne s'est jamais si glorieusement illustrée que contre des Suisses désarmés (comme lors de la Grève Générale de 1918, ou lors du 9 novembre 1932), que les pestilences politiques produites par les crises économiques et sociales sont une permanence de ces crises, et que nos démocraties ne sont « apaisées » que lorsque ceux qui y règnent ne craignent pas de n'y plus régner.

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