Une étude sur les inégalités à Genève : Les pauvres d'une ville riche

Le premier rapport du Centre d'analyse territoriale des inégalités (CATI) de l'Université de Genève semble enfoncer des portes ouvertes : la Ville de Genève, mais surtout les grandes communes de la couronne urbaine, abritent la plus forte population socialement et matériellement précarisée. Les « poches de précarité« » sont repérées, à partir de six indicateurs (le revenu, le chômage, les subsides sociaux, les écoliers d'origine modeste...) à Vernier, Onex, Chêne-Bourg, Carouge, Meyrin, Versoix, Lancy, Thônex, au Grand Saconnex et en Ville de Genève, mais avec une grande différence : certaines de ces communes sont beaucoup profondément et gravement touchées, parce que la mixité sociale y est bien moins assurée, que la Ville de Genève. L'étude du CATI fournit un état de situation, à un moment donné, sur un espace donné. Elle ne fournit pas de réponses à cette situation : cela, c'est le rôle des politiques. Et leur tâche, petit rappel utile en temps d'affres budgétaires, c'est de s'en donner les moyens.

Combattre la pauvreté : tout un programme...

Il n’y a plus, officiellement, de « pauvreté absolue » en Suisse, autrement dit de misère, de situation où la personne est privée des moyens de se nourrir et d’assurer sa survie physique. En revanche, la « pauvreté relative » (c’est-à-dire la situation où l’on est incapable de mener une « vie normale») subsiste, et même se renforce avec les inégalités, et un tiers de la population d’une ville aussi riche que Genève y a baculé ou peut y baculer à la suite d’une crise sociale ou d’un « accident de vie » (mise au chômage, maladie, crise familiale). Les ménages (ou les personnes) vivent en situation de pauvreté lorsqu’ils cumulent les symptômes d’impuissance sociale, écrit Jean-Pierre Fragnières. Ainsi définie, la pauvreté est une situation de dépendance et d'impossibilité à élaborer des projets allant au-delà du très court terme. La pauvreté ne se définit en effet pas seulement, et peut-être plus principalement, comme une carence de ressources matérielles, financières, mais surtout comme une carence de droits, une perte de liens sociaux –ce qui renvoie à la distribution du pouvoir, du prestige et des ressources dans la société. La pauvreté se définit donc par un écheveau d'absences, d'impuissances, de carences en pouvoir de négociation, en maîtrise des conditions d’existence, en capacités de construire des projets, en intégration sociale. Ce désarmement social aggrave les carences matérielles (en termes de revenu, de patrimoine), ce qui, dans un cercle vicieux, empêche de remédier aux carences sociales : la pauvreté sociale détermine la pauvreté matérielle, qui englue dans la pauvreté sociale. Logiquement, les groupes sociaux les plus frappés par la pauvreté sont donc aussi ceux les plus menacés par l’exclusion, dans la mesure même où celle-ci consiste en la privation de droits fondamentaux auquel on ne peut accéder que si l’on dispose de ressources matérielles suffisantes. L’exclusion sociale est la situation dans laquelle se trouvent les personnes et les groupes privés des droits fondamentaux, Là, comme à Genève, où l’écrasante majorité de la population vit et travaille en zone urbaine (ce qui comprend les zones « suburbaines » et « rurbaines », c’est-à-dire les zones où la majorité de la population travaille en ville, même lorsqu’elle habite hors de la ville au sens strict du terme), ces droits sont ceux exprimés par la « charte européenne des droits de l’homme dans la ville », à savoir d'abord le droit à la ville elle-même, c’est-à-dire le droit de tous les habitants à un espace collectif fondé sur la participation démocratique de toutes et tous. Puis, le droit à la ville implique celui de disposer de services publics efficaces, assurant les droits à l'éducation, au travail, à la culture, aux loisirs et aux sports, au logement, à un environnement non dégradé, à un urbanisme harmonieux. Ce catalogue de droits est un programme politique -et c'est celui de la gauche municipale genevoise, pour ne prendre que cet exemple (quoique la considérer comme exemplaire puisse parfois relever d'une autoproclamation excédant quelque peu la réalité). Et la réalisation de ce programme requiert de la commune, puisque c'est de sa propre population précarisée dont il s'agit, et que de tous les espaces politiques institutionnels c'est elle qui en est la plus proche, un activisme, un volontarisme, une présence concrète sur le terrain, qui requièrent à leur tour des moyens financiers, et une volonté politique -ces mêmes moyens que la droite (municipale et cantonale) lui refusent, cette même volonté que la droite (cantonale et municipale) fait tout pour brider. On la comprend d'ailleurs aisément : le programme qu'implique le « droit à la ville » est à peu près en tous points contraire au sien. Etonnez-vous après cela que son rêve, à défaut de pouvoir en finir avec la Municipalité de Genève, est de la priver de budget...

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