Généralisation de la vidéosurveillance

Dis bonjour à la 1358ème caméra...

Selon un rapport du Département de la sécurité, de la police et de l'environnement, pas moins de 1358 caméras filment les Genevoises et les Genevois (et les visiteurs de Genève), dans la rue, les véhicules des TPG, les parkings, à l'aéroport, à l'hôpital, à l'école, dans les musées, la prison, l'Hôtel de police etc... -bref, un peu partout. 169 de ces caméras filment la rue. 366 caméras surveillent le domaine public dans les communes, dont 215 en Ville de Genève... et 69 pour le seul Grand Saconnex, et 33 pour Cologny. « Il est difficile de se faire une idée sur l'utilité réelle des caméras », reconnaît le président MCG de la commission judiciaire du Grand Conseil, car on manque de statistiques comparatives de la délinquance dans les lieux surveillés par caméra et dans les autres. On ne manque pas, en revanche, de propositions d'augmenter le nombre de ces machins dont on ne sait pas précisément à quoi ils servent, sinon à arrondir le chiffre d'affaire de ceux qui les vendent.

Spectacle de l'insécurité, sécurité du spectacle

« A l'avenir, il y aura une intensification de la violence », a prévenu sans fard la cheffe de la police genevoise, s'adressant en décembre au public (âgé) de la « Cité Seniors », qui lui sut gré de cette franchise. Et Monica Bonfanti de préciser qu'aujourd'hui déjà, « on a affaire à des gens qui n'ont rien à perdre », des « multirécidivistes qui vivent de leurs activités criminelles » et que la perspective de passer des mois ou des années en prison n'effraie nullement (pas plus que la peine de mort n'effrayait leurs homologues des siècles passés). Si peu réjouissante que soit la perspective dessinée par Monica Bonfanti, on ne peut que la considérer comme vraisemblable. Mais si la cheffe de la police peut le dire, les « politiques », eux (et elles) s'en garderont bien. Ils (et elles) vont donc brasser de l'air et s'agiter comme des sémaphores en tentant de faire croire qu'ils (et elles) ont LA solution. Pas LES solutions, le public s'y perdrait, non : LA solution. Variable selon les personnes, et les forces politiques, mais assez généralement unique. Et c'est ainsi que faute de pouvoir réellement « juguler la criminalité » et «réduire l'insécurité», la droite s'accroche à un gadget dont (c'est le lot des gadgets) l'efficacité est douteuse : la vidéosurveillance. Au risque d'attenter plus sûrement aux libertés individuelles et à la préservation de la vie privée qu'aux possibilités des délinquants de délinquer. La droite, qui à Genève tient le ministère cantonal de la police, le département municipal de la police et le Parquet général, a clairement failli à ses propres promesses d'assurer la « sécurité publique », quoi qu'il en soit de la définition qu'elle en donne (et plus cette définition s'étendait à ce qui n'en relevait pas, plus cette faillite s'approfondissait). En prônant le filmage généralisé de l'espace public, elle tente de donner le change -mais si la vidéosurveillance était dissuasive de la délinquance, il n'y aurait plus la moindre délinquance dans les villes où pullulent les caméras de surveillance, comme à Londres. Dans les faits, sur le terrain, il y a certes à la fois moins de violence et plus de violences, plus de sécurités et plus d'insécurité. Or l'insécurité réelle est discriminatoire : elle épargne les plus riches et les plus puissants, elle frappe les plus pauvres et les plus fragiles. Et ce sont précisément les plus fragiles (les femmes, les aînés) qui se sentent les moins en sécurité. Et qui, de fait, le sont. Et qui doivent être rassurés par des caméras qui ne les protégeront de rien, qui n'empêcheront pas les délits d'être commis, qui permettront tout au plus d'en identifier les coupables -mais trop tard, puisque le délit aura été commis, et la victime atteinte. On avait déjà, fort libéralement, développé ce que Philippe Robert décrit comme un « néo-prolétariat de surveillants moins coûteux et plus flexibles » que des policiers. Et on y ajoute donc des caméras de surveillance encore moins coûteuse, encore plus flexibles, et encore moins utiles, sinon comme placebo, comme signe qu'on « se préoccupe du problème » et qu'on « répond à la montée de l'insécurité ». On y répond, oui. Par des gadgets, en disséminant un peu partout une vidéosurveillance dont la prolifération même signe l'échec et manifeste l'impuissance des politiques purement sécuritaires en confirmant que le discours politique sur l'insécurité est de plus en plus lourdement un discours de masque de la réalité, qui permet d'évacuer l'analyse et toute tentative de solution des problèmes sociaux au profit d'une « gestion de la délinquance » qui ne la résorbe pas, et la tient comme suspendue au-dessus, ou au-delà, des réalités sociales, comme si elle était une sorte de phénomène métaphysique. Ou un spectacle, désormais filmé sous tous les angles : le spectacle de l'insécurité, sécurisant le spectacle du discours politique sur l'insécurité.

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