La France a perdu son « Triple A ». Mais pas encore sa triple buse.

Nicols Srkozy dévlué

On raconte que Nicolas Sarkozy aurait été furieux de la dégradation de la « note » de la France par l'agence Standard & Poor's. Il devait pourtant s'y attendre -mais il avait fait de son «triple A» un titre de gloire, une talonnette le haussant à la taille d'Angela Merkel. Evidemment, à trois mois de l'élection présidentielle à laquelle il est candidat pour se succéder à lui-même, ça tombe mal, comme un funeste présage. Mais seulement un présage. Et venant de bien piètres prophètes. Le Petit Nicolas n'est plus le Pair de la Chancelière allemande, il n'en est même plus le Prince Consort, il n'en est plus que le page, il doit en rabattre de ses ambitions de reconnaissance internationale, mais il n'a pas encore perdu les présidentielles de mai.

AAA ? AA+ ? Ah ! Ah ! Ah !

En faisant du maintien du « triple A » un objectif central de sa politique budgétaire, Nicolas Sarkozy a lui-même offert à ses adversaires les verges pour le fouetter le jour, pourtant attendu par à peu près tous les analystes, de la perte de ce label, dont le maintien parfaitement illusoire avait été utilisé comme argument pour justifier deux plans de rigueur successifs (on voit déjà poindre le troisième, sans doute avec l'argument d'en revenir au « triple A » perdu). Mais si François Hollande a raison de relever que par la dégradation de la notation de la France, «c'est une politique (celle de Sarkozy) qui a été dégradée, pas la France », Jean-Luc Mélanchon a tout aussi raison de reprocher à François Hollande de ne pas profiter de l'occasion pour remettre en cause le système financier et les agences de notation. Parce qu'enfin, de quel droit, par quelle délégation de pouvoir, avec quelle légitimité, des entreprises privées (les agences de notation ne sont que cela) ont-elles reçu le pouvoir de déterminer les taux d'intérêts auquel les Etats, les régions, les villes, les communes, vont emprunter ? D'aucun droit, par aucune délégation, avec aucune légitimité. Seulement par la soumission moutonnière des « marchés », des banques et des investisseurs à leurs ukazes, et par le respect en lequel les décideurs politiques les tiennent, au point d'y calibrer leurs politiques budgétaires -et donc leur capacité d'action économique et sociale. C'est-à-dire leur propre légitimité.

La France ne faisait déjà plus partie depuis longtemps des grands Etats les plus fiables à l'aune des critères, contestables, des agences de notation (la France avait obtenu son « triple A » en 1975 et l'a gardé pendant 37 ans sans jamais avoir présenté un budget équilibré, et « les marchés » exigeaient depuis des mois d'elle un taux d'intérêt presque double de celui exigé de l'Allemagne). D'ailleurs, avec son AA+, la France ne fait que se retrouver au même niveau que celui de l'Autriche, et même des Etats-Unis, qui continuent à emprunter à bon marché malgré leur « dégradation » il y a six mois. Alors, sa « dégradation » de la semaine dernière, et même l'assort de sa nouvelle note AA+ d'une « perspective négative » menaçant de la faire passer l'année prochaine à AA-, ça dit quoi, de la situation réelle de la France ? Rien. D'ailleurs, le canton de Genève est passé de A+ à AA- (ce qui le met encore en-dessous de la Ville de Genève, qui doit être -tu confirmes, Sandrine ?- à AA+). ça allège la charge de ses emprunts, mais ça dit quoi, de sa situation financière réelle ? Rien non plus. On n'est pas avec ces « notations » dans l'analyse des réalités économiques, on est dans le pari turfiste. L'un de des turfistes, l'inévitable Alain Minc, pour qui le triple AAA accordé à la Gaule par les agences de notation devait être considéré comme un « trésor national » ne décolère pas, et considère désormais S&P comme une bande de « pervers graves ». Et pourquoi diable ? Si ces agences font leur beurre, c'est bien parce que des Minc les ont admises comme des références... Et si perversité il y a, ne serait-ce pas celle du masochisme, de continuer à défendre un système financier où la capacité des Etats et des collectivités publiques d'emprunter tient au verdict d'entreprises privées qui n'ont à assumer aucune des conséquences de leur prétention à « noter » les emprunteurs, et trouvent même profit à inciter les investisseurs à les rançonner.

Un ancien responsable de Sandard & Poor's avertit, dans Le Monde : « Ne croyez pas, au simple motif qu'on les craint et qu'elles sont trois à régner sur l'économie mondiale, que les agences y voient clair dans cette crise et qu'il y ait plus d'intelligence chez elles qu'ailleurs ». Et un autre ponctue : « Les agences de notation n'ont pas venu venir la crise de 2008 pour les banques (et) leurs critères de notation n'ont jamais semblé aussi flous, leurs justifications malhabiles ». Alors pourquoi les croit-on et les suit-on ? Parce que cela participe d'une crédulité générale en les « lois du marché » et d'un suivisme non moins général aux basques des « impératifs de l'équilibre budgétaire », lois et impératifs qui n'en sont, précisément, pour que ceux qui y croient. Et sont des calamités pour ceux à qui ces croyants font payer leur propre incompétence, et leur propre avidité.

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