Prix unique du livre : L'enjeu, c'est le livre, pas son prix.

Le Parlement fédéral ayant adopté, par une majorité de gauche et du PDC, une loi qui réglemente le prix du livre, les opposants (de droite, UDC et PLR, rejoints par les libertariens du « Parti Pirate ») à cette réglementation ont lancé un référendum, qui a abouti. On votera donc le 11 mars sur un «prix unique du livre» en Suisse. En Romandie, où 80 % des livres vendus sont importés de France, par des diffuseurs liés aux groupes d'édition français, le référendum de la droite n'a recueilli pratiquement aucune signature. Dans notre coin de pays, les livres édités en France sont vendus 30 à 40 % plus chers que de l'autre côté de la frontière. Les libraires romands assurent qu'avec la nouvelle loi, le prix des livres baissera. Mais l'enjeu principal n'est pas là : il est dans le maintien d'un réseau de librairies, et d'entre ces librairies, du plus grand nombre possible de librairies indépendantes. L'enjeu du prix du livre n'est pas le prix : c'est le livre.

Le livre, une marchandise comme les autres ?

Avec la nouvelle loi soumise au vote populaire le 11 mars prochain, la Surveillance des Prix s'assurerait du respect d'un prix de vente unique (avec une possibilité de rabais jusqu'à 5 %), fixé par les éditeurs et les importateurs. Ce prix s'appliquerait aussi aux livres commandés à l'étranger par internet, mais pas aux « livres électroniques ». La Surveillance des Prix pourrait proposer au Conseil fédéral de fixer par voie d'ordonnance une différence de prix maximale, modulable selon les régions linguistiques, par rapport au prix à l'étranger. Depuis que l'accord tacite passé entre librairies et diffuseurs pour respecter le prix fixé par les seconds a été cassé par la Commission de la Concurrence, en 1992, la pratique du « discount » s'est répandue et les chaînes de librairies s'y sont mises et y ont rejoint les grands magasins. L'arrivée de la Fnac en Romandie a achevé le processus, qui condamne, s'il n'y est pas mis fin, les librairies indépendantes à la disparition, les unes après les autres, faute de pouvoir financièrement suivre cette logique de dumping sur les livres qui se vendent le mieux -et dont la vente leur permet de proposer (ce que ne font pas les discounters) des livres plus difficiles, plus ciblés, édités par de plus petits éditeurs, et d'effectuer pour leurs clients des recherches qui, prenant du temps, coûtent de l'argent. C'est ainsi que la vente des produits de Marc Lévy ou de Catherine Pancol paie la diffusion des oeuvres de Julien Gracq ou de Jean-Marc Lovay, et qu'en vendant du Sulitzer on peut diffuser du Cherpillod.

C'est donc bien la survie des librairies qui est en jeu. A Genève, on vient d'en porter quatre en terre : Forum, Artou, Panchaud, Descombes. Nous flânions dans les rayonnages de Prior, nous pouvons encore flâner dans ceux de Jullien, autour du vieux poële. Mais pour combien de temps ? Dans combien de temps serons nous définitivement condamnés à la Fnac ? Même Payot s'en inquiète -car, certes chaîne, elle est tout de même une chaîne de librairie, et pas un supermarché de tous produits de loisirs. Que l'on puisse proposer d'autres livres que ceux dont on est assuré qu'ils vont se vendre, c'est le travail des libraires -des vrais. Que l'on puisse trouver à acheter des livres écrits par des auteurs encore inconnus, ou des auteurs d'ici, publiés par de petits éditeurs, tiré à peu d'exemplaires, c'est ce que seul un réseau vivace de librairies indépendantes permet.

On votera OUI au prix unique du livre, le 11 mars. Pas seulement parce que nous nous sommes constitués par les livres que nous avons lu et aimé, que nous nous sommes pris pour Gavroche ou Jean Valjean, Aramis ou le Comte de Monte-Christo, Philip Marlowe ou Etienne Lantier et que cela nous a aidé à ne nous prendre finalement que pour nous-mêmes : parce que le livre n'est pas une marchandise comme les autres, qu'il est un facteur central, essentiel de culture, qu'il est même, depuis Gutemberg, LE premier véhicule de la culture et, que contrairement à ce que de vains lieux communs nous susurrent, il l'est resté. Parce que l'écrit est resté. En proférant son célèbre « Le medium, c'est le message», MacLuhan a proféré une ânerie. Le medium n'est pas plus le message que le tuyau n'est l'eau : les media ne s'annulent pas, ils s'ajoutent, s'empilent, se répondent, se conjuguent : l'imprimerie n'a pas tué la parole, la radio n'a pas tué la presse, la télévision n'a pas tué le cinéma, l'internet n'a tué ni la parole, ni l'écrit -et a même donné une vigueur nouvelle au plus vieux medium du monde : la rumeur. Il n'y a d'ailleurs pas d'internet sans écrit : l'écrit est sur l'écran mais l'écran n'est qu'une page.

Nous voterons OUI au prix unique du livre, parce que le livre n'a pas de prix.

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