Scoop : des fois, l'hiver, fait pas chaud...

Laissons-nous aller à un petit mouvement d'humeur saisonnier : Massacres en Syrie, crise alimentaire dans le Sahel, révolution confisquée en Egypte, extrême-droite au pouvoir en Hongrie? Oui, bon, d'accord, on sait. Mais nous, notre problème, c'est qu'il fait froid en hiver. Une conduite d'eau rompt à cause du froid, un quai est fermé, c'est le bordel dans la circulation, y'a des bouchons partout, les Bains des Pâquis sont fermés à cause du gel, la Ville de Genève a prolongé les heures d'ouverture de ses lieux d'accueil de sans-abris, les cartes SIM des I-pad déclarent forfait, les chantiers ferment, les aiguillages des CFF gèlent... C'est l'hiver, quoi... Et c'est apparemment le sujet de préoccupation principal de nos concitoyens, l'hiver. Comme si en février, on s'attendait à être en une autre saison qu'en hiver, dans nos pays.

Et tout ça n'empêche pas que le climat se réchauffe...


L'été, nous faisons tourner nos climatiseurs. L'hiver, nous avons nos chauffages centraux et nos chauffages d'appoint. La consommation d'électricité est en ce moment de 5 à 15 % supérieure à celle de février de l'année dernière (alors que seuls 10 % des ménages suisses sont principalement équipés de chauffage électrique...). La consommation d'électricité augmente chaque année de 2 % et on entend déjà murmurer le lobby nucléaire : sans nos centrales, vous allez vous les geler... Les saisons, dans nos villes, nous ne les voyons plus qu'à la couleur des arbres ou à la présence ou non de chaufferettes sur les terrasses des bistrots. En somme, nous avons installé sous nos latitudes un climat tropical : une saison sèche, une saison des pluies, et la même température hiver comme été là où nous habitons et où nous travaillons. A moins de 18 degrés, les écoles ferment. Si les hivers à venir ressemblent à ces quelques jours de froidure, quelques mercredis matin scolaires vont passer à la trappe.

Si l'hiver ne tuait pas, l'hiver nous siérait comme une houppelande. Mais l'hiver tue. Il est vrai qu'il ne tue pas ceux qui s'en plaignent le plus. Il tue les pauvres. Il tue les sans-abri. Il ne nous tue pas, nous. A peine nous refroidit-il, pour le temps compté que nous passons hors des lieux chauffés, ventilés, climatisés. Au fond, ce n'est même pas l'hiver qui tue : comme le titre l'Huma, c'est la pauvreté qui tue. A Genève, l'exclusion a tué une personne dans le camp des « Indignés » (« je vous l'avais bien dit », croassent quelques vautours). En Europe, au moins 360 personnes sont déjà mortes de froid. Dont 21 personnes en Italie. Et 19 personnes en Algérie. Mais nous, on est au chaud. Ou on y va.
Et c'est donc bien au chaud qu'on se permettra de vous rappeler, à vous qui êtes aussi bien au chaud, que nos quelques jours de froidure hivernale n'ont rien de commun avec les hivers d'antan, et que lors même que nous geignons sur la bise frisquette, le climat de la planète, lui, continue de se réchauffer, et notre environnement de se dégrader. Entre autres raisons, plus décisives, parce que nous ne supportons plus de vivre et de travailler dans des locaux où la température serait inférieure à dix-huit degrés centigrades.

« La cause principale de la dégradation continue de l'environnement mondial est un schéma de consommation et de production non viable, notamment dans les pays industrialisés, qui est extrêmement préoccupant dans la mesure où il aggrave la pauvreté et les déséquilibres » : ainsi s'exprimait en 1992 la déclaration finale du « Sommet de la Terre », à Rio de Janeiro. Et deux conventions sur les changements climatiques et la diversité, plus un plan de «développement durable» (l'« Agenda 21 »), suivirent. Vingt ans plus tard, on n'est toujours pas sorti du «schéma de consommation et de production non viable», et le « développement durable » apparaît pour ce qu'il est : une tentative de sauvegarder l'essentiel de ce « schéma », d'en pérenniser les « lois » fondamentales -celle du profit et celle de la propriété privée des moyens de production. Mais aussi nos habitudes de consommation. Et nos frilosités.


Voilà, c'est dit. Il fallait bien qu'on vous le serve, notre petit couplet décroissant, par ce joli temps d'hiver... Ce n'est pas le bon moment ? Non. Mais c'est justement pour cela qu'on l'a choisi. C'est ce qui s'appelle ramer à contre-courant. Ou prêcher dans le désert. Ou ouvrir la fenêtre quand il fait moins quinze dehors.

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