Genève : la Ville finance la restauration d'une église : Laïcité de Calvin...

Il y a à Genève, dans le quartier de Cornavin, une grande église, assez moche, qui nécessite d'importants travaux d'entretien et de restauration. Un peu plus de deux millions de francs sont nécessaires pour financer ces travaux. Et mardi soir, le Conseil Municipal de la Ville a accepté d'y participer pour un cinquième (autour de 400'000 francs donc). Mais le débat a moins porté sur ces travaux en eux-mêmes que sur leur objet : une église catholique -la première construite à Genève depuis la Réforme. Avec à la clef cette question : participer au financement de la restauration d'une église, propriété de la communauté religieuse qui en use comme lieu de culte, est-ce compatible avec le principe de laïcité ? A gauche, la réponse n'est pas unanime. Nous avons répondu « oui », certain-e-s de nos camarades ont répondu « non » -et les deux réponses sont légitimes.

Des vertus de l'indifférence

La Ville de Genève va donc participer à la réfection d'une basilique. Cette basilique est un élément patrimonial, à un double titre : elle l'est matériellement, architecturalement, en tant qu'édifice (et qu'elle soit catholique n'est à ce titre qu'une caractéristique parfaitement secondaire : s'agirait-il d'une mosquée, d'un temple bouddhiste ou d'une église orthodoxe, le critère de la valeur patrimoniale matérielle resterait inchangé: cela vaut-il que l'on paie pour sa restauration ?). Mais il y a un autre titre auquel la basilique de Cornavin vaut d'être reconnue comme un élément patrimonial : celui d'un symbole. Et, paradoxalement, non d'un symbole religieux, mais d'un symbole du passage à la laïcité, et, à Genève, de la République protestante à la République laïque : cette basilique fut la première église catholique construite en Ville de Genève depuis la Réforme....

La laïcité, à Genève comme en France, et à peu près à la même époque, Carteret répondant à Combes, a été conquise contre les églises chrétiennes dominant dans l'espace politique qui était le lieu de cette conquête : l'église catholique romaine en France, l'église calviniste à Genève. Et dans les deux cas, cette conquête a eu comme principaux bénéficiaires non les athées et les agnostiques, mais les confessions chrétiennes minoritaires (et les juifs). Ces temps, ceux du Kultukampf, de l'expulsion des congrégations, de l'interdiction des processions religieuses, de la réquisition des biens de l'église, sont passés dans l'histoire : on a séparé les églises de l'Etat -mais quid des religions sans églises (l'islam, les religions orientales) ? Et qu'est-ce que la séparation des églises et de l'Etat signifie, en ce temps et ce lieu, les nôtres, où les églises sont vides et où moins du tiers de la population adulte peut encore être considérée comme religieusement « pratiquante»?

A une laïcité qui fut de combat contre les églises devrait aujourd'hui pouvoir succéder une laïcité d'indifférence du politique à l'égard des religions, pour autant que la traduction de leurs préceptes en pratiques et en conduites sociales n'entrave pas l'exercice des libertés fondamentales et ne nie pas les droits individuels fondamentaux. Cette laïcité de l'indifférence et de l'égalité est d'ailleurs la conduite la plus éloignée de la confusion du politique et du religieux. Ce que proclame cette laïcité est simple : Priez le dieu ou les dieux que vous voulez, honorez les saints qui vous conviennent, suivez les préceptes des prophètes qui vous siéent, ce n'est pas l'affaire de l'Etat ni celle de la commune -qui ne sont là que pour vous garantir la liberté de croire ou de ne pas croire, de prier ou de blasphémer, de choisir une religion et d'en changer. Cette indifférence du politique à l'égard du religieux implique une égalité de traitement des différentes religions par les dispositifs légaux, et cette égalité de traitement doit se traduire en actes très concrets, comme se traduirait -et parfois se traduit- la conduite inverse, celle de l'inégalité et de la discrimination : si les minarets doivent être interdits, les clochers doivent l'être aussi, et si les clochers sont autorisés, les minarets doivent l'être aussi. Puisque la collectivité publique genevoise a participé financièrement à la rénovation de temples protestants (ceux de Saint-Pierre, de Saint-Gervais et de la Madeleine), au nom de quoi devrait-on lui interdire d'en faire autant pour une basilique catholique, d'une synagogue, d'une mosquée, d'une église orthodoxe ou d'un temple bouddhiste, si ces édifices ont une valeur patrimoniale qui justifie ce soutien financier ?

Pour des gens comme nous, persuadés que la place des religions aujourd'hui est dans les musées, entre les silex taillés et les cottes de mailles, considérer les églises comme des éléments patrimoniaux devrait être perçu non comme un attentat à la laïcité mais comme le signe que le religieux ne détermine plus le politique, et que les anciens temples et les anciens cultes contre qui la démocratie a été conquise et que la démocratie a vaincus, sont finalement porteurs de plus de sens que les nouveaux temples -les centres commerciaux et les nouveaux cultes -les compétitions sportives.

Commentaires

Articles les plus consultés