De la friture dans le tuyau

Le Conseil administratif de la Ville de Genève (sauf Rémy Pagani, qui a fait savoir qu'il n'était pas d'accord, ce qui lui a valu les remontrances de ses collègues) propose au Conseil Municipal de l'autoriser à vendre au plus offrant (peut-être à la multinationale UPC Cablecom, déjà actionnaire minoritaire de Naxoo depuis 2006, et y disposant d'un véritable droit de veto, pour ne pas dire de blocage), les 51,1 % d'actions que possède la commune dans la société Télégenève, c'est-à-dire Naxoo, le réseau câblé qui dessert les 83'000 foyers de la Ville et 70'000 autres dans le reste du canton. La Municipalité (de gauche) de Genève a certainement d'excellentes raisons techniques, empiriques, pragmatiques, pour déposer ce qui est en fait une proposition de privatisation. Mais la question de la propriété de ce tuyau qu'est un téléréseau se pose en les termes d'un choix de principe : qu'est-ce qui doit être en mains publiques, qu'est-ce qui peut être laissé (ou remis) en mains privées ? Et est-il judicieux de se défaire d'un réseau de communication quand on sait que l'importance de ces réseaux, et donc de leur propriété, et donc de leur contrôle politique, ne va cesser de s'accroître ?


... car qui contrôle le tuyau contrôle le flux...

La Ville de Genève doit-elle vendre, comme son exécutif le propose, ses actions dans la société Télégenève (Naxoo), dont elle est l'actionnaire majoritaire (mais que la convention d'actionnariat rend à peu pès impuissant face à l'actionnaire minoritaire) ? Naxoo exploite un téléréseau câblé. Un téléréseau, c'est un tuyau. On ne contrôle pas ce qui y passe, mais on en contrôle et on en permet le passage. Sans le tuyau, rien ne passe, et si la mission du service public n'est pas de déterminer le contenu de ce que le câble (ou la fibre optique) transmet, elle est de garantir cette transmission, et de la garantir àtoute la population. Or seul un service public, ou une entreprise en mains publiques, peut donner cette garantie -une entreprise privée ne peut la donner que tant qu'elle y gagne quelque chose, financièrement. De plus, seule une entreprise en mains publiques peut garantir, s'agissant de la distribution câblée de programmes de télévision, le pluralisme de l'offre de programmes. Actuellement, Naxoo le fait. mais est-il dans l'intérêt d'une société privée de proposer autre chose qu'un « bouquet de base » précsément basique ? Et est-il dans son intérêt d'assurer la pérennité d'une télévision locale (Léman Bleu, en l'occurrence, dont Naxoo est actionnaire pour un quart) et de proposer au tarif minimum l'accès àdes chaînes de télévision dont le public local est restreint ? Nos doutes sur ce point rejoignent ceux de Rémy Pagani... et nourrissent de fortes réticences à accepter de voter
 
la proposition de l'exécutif municipal, sans la renvoyer pour étude en commission.

On nous dit aujourd'hui que l'avenir n'est plus au câble (et donc à Naxoo), mais à la fibre optique et aux opérateurs capables, comme les SIG et Swisscom, de proposer le « triple play » (télévision+téléphonie+internet). On nous le dit sur le même ton empli d'une absolue certitude que celui par lequel on nous dit que l'avenir n'est plus au livre, mais aux liseuses électroniques. En déduit-on qu'il faille vendre les bibliothèques municipales et refuser de soutenir les librairies indépendantes ? On communique de moins en moins par lettres sur papier et de plus en plus par messages électroniques -en déduit-on que la Poste doit cesser de distribuer le courrier ? Les trois quarts de la population adulte (voire plus) ont au moins un téléphone portable -en déduit-on que Swisscom doit abandonner les lignes fixes ? On déduit en tout cas du raisonnement tenu sur le câble et la fibre optique qu'il faut vendre le câble (et donc Naxoo), parce que l'enjeu ne serait plus la télévision mais l'internet. Comme si l'apparition d'un nouveau medium rangeait les précédents dans les collections patrimoniales.... Comme si le fait que les Services Industriels et Swisscom puissent proposer le « triple play » devait, forcément, conduire la commune à renoncer àproposer un « single play »... Comme si l'évolution rapide des technologies de communication devait, forcément, pousser à abandonner au plus offrant la maîtrise des réseaux qu'on juge dépassés (d'ailleurs, pourquoi une société comme UPC Cablecom tiendrait-elle tant à être seule propriétaire de Naxoo, et ferait-elle tout pour l'être, si Naxoo renvoyait à une technologie, une activité et un segment de marché obsolètes ?), mais qui sont les seuls à pouvoir assurer à toute la population, en particulier l
a plus âgée et àla plus pauvre, la plus éloingée des nouvelles technologies, l'accès àl'information -c'est-à-dire l'accès àun droit fondamental.

Qu'attend-on d'un service public (d'une entreprise publique ou majoritairement en mains publiques) ? Qu'il coure après l'innovation technologique (en se faisant des illusions sur ses avantages) ou qu'il assure une prestation essentielle, correspondant àun droit fondamental -le droit àl'information, dans le cas précis? C'est ce qu'assure le réseau câblé de la Ville. On n'en attend pas qu'il assure le surplus, l'option additionnelle, l'internet à haute vitesse, pas plus, si l'on ose cette comparaison, qu'on attend de la voirie municipale qu'elle assure en sus de l'enlèvement des ordures ménagères, la « poutze » des appartements. C'est ce principe là, celui de la prestation essentielle, basique, celui du « service universel », qui justifie le maintien de Naxoo en mains majoritairement publiques.
Car qui contrôle le tuyau contrôle le flux. Et on préférera toujours que cela soit une collectivité locale et démocratique vouée à sa population qui le contrôle, plutôt qu'une entreprise privée vouée à ses actionnaires.


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