Garder la gueule ouverte !

On aurait pu attendre un chiffre encore plus rond, le millième numéro, pour nous auto-congratuler, mais dans la morosité politique ambiante, on n'a pas eu la patience : voilà donc le 800e numéro de « CauseS TouSjours ». Et on est encore tout ébahi, à la fois d'avoir réussi à pondre autant, et d'avoir même réussi à être lu. Sur écran ou sur papier, en pdf ou sur l'un ou l'autre des blogs où nous déversons notre prose quelques heures après l'avoir expédiée, matutinalement, à quelques centaines de destinataires résignés à ce que nous encombrions leur boîte aux lettres électronique. En cela, nous sommes bien « genevois » (ou grecs...), conformes à l'image que la blochérienne « Weltwoche » de la semaine dernière donnait des Welches, et qui après tout nous a fait si grand plaisir : Ach ! touchours la keule ouferte !

Contre les chiens de garde ? les chats de gouttière !

Jusqu'au 1er avril prochain, le cinéma de l'Usine (le Spoutnik www.spoutnik.info) à Genève, et le Zinéma à Lausanne (www.zinema.ch), projettent le documentaire de Gilles Balbastre et Yannick Kergoat, « Les Nouveaux Chiens de garde ». Le film démonte l'oligopole médiatique français, ses « experts » multicartes, ses invités permanents des plateaux de télévision, ses pratiques de renvoi d'ascenseur, de génuflexions devant les puissants, et finalement l'absence de pluralisme réel des media du pays voisins, les quelques espaces critiques ou ricanants laissés ouverts ne pouvant représenter une alternative solide au déferlement du conformisme culturel et politique que favorisent des liens d'intérêts croisés, où des entrepreneurs de travaux publics et des marchands d'armes peuvent être propriétaires des plus trands media du pays.
En apparence, on n'en est pas encore là en Suisse. En apparence. Car c'est bien le financier Tito Tettamanti qui a racheté pour son copain Blocher la Basler Zeitung, c'est bien le banquier Hummler (de la banque Wegelin, qui vient de se faire pincer en tentant de récupérer les clients américains fraudeurs lâchés par UBS) qui préside (ou présidait ?) le Conseil d'administration de la Neue Zurcher Zeitung et détiens (ou détenait) la publication ultra-libérale Trumpf Buur... Et un Beat Kappeler vaut bien un Alain Minc...
Il n'y a presque plus de presse de gauche dans ce coin de pays (et la situation n'est pas plus enthousiasmante en Alémanie et au Tessin) : des bulletins de parti que ne lisent que les membres du partii et les journalistes, quelques publications de qualité et d'ambition supérieures (Pages de Gauche, Causes Communes, Gauche Hebdo) mais dont l'audience médiatique est largement inférieure au lectorat de gauche dans son ensemble, et un quotidien (Le Courrier) dont la survie est précaire et tient à peu de choses. mais la faute à qui ? Et de qui, ou de quoi, s'en plaindre ? de la malice des temps ? d'un complot bourgeois ? ou du choix délibéré de la gauche elle-même d'abandonner ce terrain ? Il est à la portée de presque tout le monde de cesser de se plaindre des media, de se doter des siens, et de laisser les jérémiades sur la « pensée unique » aux Blocher, Windisch et autres Tito Tettamanti, pour qui elle serait, dans ce pays, contre toute évidence, de gauche...
La liberté de la presse ne s'use que quand on ne s'en sert pas, proclame le Canard Enchaîné. Cette conquête de la démocratie, conquête réciproque d'ailleurs (la démocratie naissant du débat politique dont la presse fut l'instrument principal) nous en servons-nous assez, en un temps où la «presse» ne se presse plus forcément, mais peut s'afficher sur écran ? Un journal, sous quelque forme qu'il se présente (sur papier ou sur écran), on n'a plus à demander l'autorisation de le faire, ni même à attendre les moyens de le faire -on le fait si, et quand on a envie de le faire; on fait ce qu'on peut, avec les moyens qu'on a, mais on le fait. Une « lettre » comme celle que vous lisez en ce moment, ne coûte rien, ou presque, à qui la produit. Un peu de temps, un ordinateur, une connexion internet. Et quelque chose à dire (peut-être), et les mots pour le dire (si possible). C'est tout ce dont nous avons besoin pour qu'on nous lise -c'est tout ce dont vous devez disposer pour qu'on vous lise aussi. Nous produisons une offre qui ne répond à aucune demande, qui ne répond peut-être même à rien sinon à notre propre graphomanie, mais peu importe.
En Suisse aussi, de « nouveaux chiens de garde » encombrent les media ? Prenons une féline tangente : Les chats de gouttière seront toujours plus petits que les chiens de garde. Mais plus nombreux, plus agiles, plus libres, leurs miaulements nocturnes, en chorale dissonante, peuvent couvrir tous les aboiements.

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