Présidentielles françaises et réveil de la gauche : De quoi Méluche est-il le nom ?

« Il y a les experts, il y a les penseurs, et puis il y a le peuple. Le peuple inattendu. C'est-à-dire des voix et des pensées que personne, ou rien, ne laissait présager », écrit Michel Butel, en couverture du deuxième numéro du désormais indispensable mensuel «L'Impossible». Inattendue, en effet, la foule qui se presse aux meetings de campagne du candidat du Front de Gauche à l'élection présidentielle française. Inattendu, le succès probable, en tout cas possible, de la candidature de Mélenchon (autour des 15 % d'intentions de vote, et devant Le Pen dans plusieurs des derniers sondages à peu près sérieux qui ont été publiés). Inattendue, surtout, et bienfaisante, cette renaissance, enfin, de l'« envie de politique » à la faveur de la campagne de Mélenchon.

Car « toute action n'est pas vaine, toute politique n'est pas sale »...


Ce que Mélenchon rassemble derrière lui dans les intentions de vote, et devant lui dans ces meetings dont le succès massif a contraint Hollande et Sarkozy à organiser eux aussi de grands rassemblements en plein air, ce n'est pas une foule béate acquise à un homme : c'est une foule qui se réveille d'années de léthargie, de déprime, de démobilisation politiques. Une foule de militantes et de militants plus encore que d'électrices et d'électeurs. Et cette foule est derrière Mélenchon parce que Mélenchon sait lui parler, et lui dire non seulement ce qu'elle a envie d'entendre, mais surtout ce qu'elle a besoin d'entendre : qu'il y a une alternative à l'ordre présent des choses, que « toute action n'est pas vaine, toute politique n'est pas sale » (cela, c'est du Mendès-France...), et que ce n'est pas parce que la gauche s'est si souvent abandonnée à la force du courant, à celle de l'argent ou à la raison raisonnable de la Raison d'Etat, qu'il faut renoncer à la réveiller, la gauche...

Mélenchon prendra probablement des suffrages, au premier tour, au candidat du PS. Mais il semble bien qu'il lui en prendra moins qu'à Marine Le Pen et au Front National, vers qui, comme des personnages d'un film de Guédiguian, semblaient vouloir se tourner en désespoir de cause (et il en faut, du désespoir, et des trahisons de causes, pour se tourner vers cette soue) les femmes et les hommes d'une gauche plébéienne ne pouvant se reconnaître ni dans les politiques menées par la gauche de gouvernement, ni dans les femmes et les hommes l'incarnant.
Mélenchon ramène dans la « vieille maison » (et cela, c'est du Léon Blum...) celles et ceux qui n'en pouvaient plus d'y devoir cohabiter avec des Bernard Tapie ou des Dominique Strauss-Kahn. Il ne prend pas des électrices et des électeurs au candidat socialiste : il les prend à l'abandon, à l'abstention, au vote d'humeur, à la chasse au bouc-émissaire. Il les prend, ou plutôt : il les reprend là où la gauche de gouvernement les avaient laissé : sur le bord de la route. Et il ne les reprend pas pour lui : il les reprend pour eux. Et c'est la condition nécessaire, pour n'évoquer que cette échéance et ce court terme, d'un renvoi de Sarkozy. Par l'élection de François Hollande, puisque seul le candidat socialiste est en mesure de battre, au second tour, le président sortant, mais qu'il ne pourra le battre que grâce à celles et ceux qui soutiendront Mélenchon dimanche, et soutiendront ensuite Hollande.
Mais au-delà de cela, au-delà même de la situation française, il y a la valeur d'un exemple : quand la « gauche de la gauche », la « gauche socialiste » (ou le socialisme de gauche, comme on voudra) est capable de se rassembler, elle pèse d'un poids déterminant dans les rapports de force politiques. Si les sondages ne se sont pas lourdement gaufrés, cela fera trente ans que cette «gauche de la gauche» n'aura pas pesé autant dans une élection en France.
Alors, que les discours de Mélenchon effraient les centristes, que ses références à Robespierre et Saint-Just hérissent Michel Onfray et que Daniel Cohn-Bendit trouve Méluche ringard, à vrai dire, on s'en fout. Ce qui importe, « ici et maintenant » (cela, de qui est-ce, déjà ?), en France, des femmes et des hommes qui vomissaient ceux qui leur parlaient de politique retrouvent le goût d'en entendre parler, mais avec des mots qui veulent dire quelque chose d'autre qu'«adaptez-vous», « il n'y a pas d'alternative », «c'est comme ça et pas autrement»... Des mots qui disent autre chose que la soumission volontaire. Des mots qui disent de la politique, et pas de la comptabilité.
De quoi Méluche est-il le nom ? D'un réveil.

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