Revenu de base : on peut maintenant signer l'initiative


Soyez réalistes. Comme en 1918...

L'idée d'un revenu de base, est irréaliste, s'entend-on déjà dire, alors que l'initiative le proposant vient d'être lancée. Et c'est vrai, elle est irréaliste, cette idée. Aussi irréaliste que celles lancées en 1918, dans le cahier de revendications de la Grève Générale, d'une assurance-vieillesse ou du droit de vote et d'éligibilité des femmes. Aussi irréaliste. Mais pas plus. D'ailleurs, même dans le terne avant-projet de nouvelle constitution genevoise, au titre des Droits fondamentaux, à l'article 40, on reconnaît le « droit à un niveau de vie suffisant » et à la « couverture des besoins vitaux »...


Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front. Et ton logement, tes vêtements et ton médecin aussi.


Nous pouvons le regretter, en ce 300e anniversaire de la naissance de Rousseau, mais nous ne sommes plus de bons sauvages batifolant nus et heureux dans un jardin d'Eden. Nous devons nous nourrir, nous vêtir, nous loger, nous soigner. On nous a bien dit, d'en haut, de tout en haut, et on y a cru : « tu gagneras ton pain à la sueur de ton front », et te nourrir ne sera plus un droit, mais une marchandise, comme te vêtir, te loger, te soigner... Eh bien non : se nourrir, se vêtir, se loger, se soigner, ce sont des droits. Qu'on détient parce qu'on est là, sans avoir demandé à y être, mais en ayant simplement renoncé à se tirer une balle dans la tête ou à se jeter d'un pont.

Dans ce pays, on a empilé depuis soixante ans les revenus de substitution. Tous conditionnels, tous partiels, tous insuffisants. Chacun n'est accordé que si l'on a pu prouver par A plus B plus C qu'on est invalide, chômeur, pauvre, malade ou vieux. Et chacun de ces revenus a son financement propre, son administration particulière, ses lois et ses règlements spécifiques, sa bureaucratie. Le tout coûte très cher, sans même couvrir les besoins essentiels de chacune et de chacun -puisqu'il faut par exemple ajouter les prestations complémentaires au minimum AVS pour qu'il atteigne le niveau du revenu d'assistance sociale. Il est temps de sortir de cette usine à gaz pour lui substituer un dispositif permettant à chacune et à chacun de couvrir ses besoins essentiels -et de travailler contre rémunération, mais par choix, pour le surplus ou pour le plaisir. C'est cela, le revenu de base.

Au fond, il s'agit d'une proposition assez typiquement social-démocrate -mais d'une socialdémocratie nordique plutôt que méditerranéenne, scandinave plutôt que latine. Une social-démocratie fondée, comme le rappelle Joëlle Kuntz dans Le Temps de samedi, sur une sorte d'« individualisme étatique » visant à libérer l'individu de ses subordinations en lui assurant des moyens et des conditions de vie lui permettant d'être autonome sans être riche, d'être protégé du risque de l'exclusion sociale (à moins qu'il ne la choisisse délibérément) par une garantie de toujours avoir les moyens de couvrir ses besoins essentiels. En contrepartie de quoi, il sera plus « flexible » à l'égard du travail salarié, puisque celui-ci est en quelque sorte le prix à payer pour obtenir plus que la couverture des besoins essentiels. On n'a plus besoin de gagner son pain à la sueur de son front, mais on a toujours besoin de gagner ses vacances aux Seychelles à la sueur de son temps, en le vendant, le plus cher possible à un employeur. Le revenu de base n'est pas une alternative au salaire minimum : il s'y ajoute, ou plutôt, le salaire minimum s'y ajoute comme le salaire s'ajoute au revenu de base comme un complément. Nous avons besoin des deux : d'un revenu de base pour couvrir les besoins essentiels, d'un salaire minimum pour assurer tout le reste. Et le travail rémunéré ne doit pas être une punition ou une fatalité, ou un épuisement, mais un choix, et même, si possible, un plaisir.


Et que ceux que cet hédonisme hérisse méditent ces quelques chiffres, qui donnent une première, partielle, imparfaite idée de celles et ceux à qui le revenu de base s'adresse, en premier (mais non en unique) lieu : 30'000 personnes de 18 à 25 ans reçoivent une aide sociale en Suisse, aujourd'hui. C'est un jeune adulte sur deux. 800'000 personnes vivent en Suisse dans la pauvreté. C'est plus d'un habitant sur dix. Un bénéficiaire de l'aide sociale sur deux est un working poor, un travailleur pauvre, dont le salaire est insuffisant pour lui permettre de vivre décemment. Et Genève, un tiers des contribuables n'ont aucune fortune.

Signez : www.admin.ch/ch/f/pore/vi/ut/i_423.fr.pdf

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