Syrie : Champ libre au régime Assad pour les massacres ?

Le syndrome libyen a-t-il frappé ?

Syrie : le massacre continue. La semaine dernière, le gouvernement syrien avait assuré que le retrait de ses troupes serait effectif le 10 avril. C'était hier. Selon le plan négocié par Kofi Annan pour l'ONU et la Ligue Arabe, toutes les parties prenantes devraient cesser toutes formes de violence avant 6 heures du matin le 12 avril. C'est demain. Mais Damas demande maintenant le déploiement d'observateurs de l'ONU, préalablement à tout cessez-le-feu. Tout le monde (même les Russes et les Chinois) voudrait qu'Assad cesse de massacrer l'opposition et la population. Mais personne n'est prêt à l'y forcer. C'est le syndrome libyen : la mesure des conséquences du renversement de Kadhafi grâce à l'intervention de l'OTAN... Au fond, si Damas se moque du plan de paix de l'ONU, le monde se moque aussi de la tuerie syrienne.

Voguons vers l'Orient compliqué avec une idée simple : ne pas oublier l'expérience libyenne

Hier, le Conseil de Sécurité de l'ONU a salué l'accord intervenu au Mali entre les putschistes militaires, le président Toumani qu'ils avaient renversé et le président de l'Assemblée Nationale qui le remplacera ad interim, accord devant « rétablir l'ordre constitutionnel au Mali ». Au Mali, ou seulement à Bamako ? Actuellement, la majeure partie du territoire (tout le nord, dont les villes de Kidal, Gao et Tombouctou, et une partie du centre) échappe au contrôle du pouvoir légal et est passé sous celui des Touaregs du Mouvement national de libération de l'Azawad qui y ont proclamé l'indépendance du pays touareg, et des islamistes armés d'Ansar Dine appuyés par « Al Qaida au Maghreb islamique » (né des groupes armés islamistes algériens) qui y ont proclamé la charia. Comment la moitié du Mali a-t-elle été conquise par les Touaregs et les islamistes ? Par les armes. Quelles armes ? Celles récupérées en Libye dans les stocks du régime Kadhafi après son renversement. Et qui les utilise, ces armes ? Des Touaregs maliens, certes, mais aussi quelques anciens mercenaires enrôlés par Kadhafi et que sa chute a renvoyés sur d'autres théâtres d'opération, et des combattants islamistes que la mise à mort, par l'OTAN, du Guide de la Révolution Libyenne et de son régime a fort réjouis, le Guide en question ayant passé une bonne partie de son temps de pouvoir à réprimer férocement l'islamisme libyen.

Aujourd'hui, le Mali est coupé en deux : les Touaregs et les islamistes tiennent le Sahara, le gouvernement tient encore le Sahel -mais pour combien de temps ? Et qui délogera les groupes armés islamistes du nord ? Et qui niera par les armes les revendications des Touaregs ? La France ? Elle est en campagne électorale, et les conséquences de son intervention contre la Libye sont telles au Mali qu'elle y réfléchira, enfin, à deux fois avant de rééditer l'expérience... l'OTAN ? Elle s'en fout comme de l'An 40 de l'Hégire, du Mali... les Etats-Unis ? Eux aussi sont en campagne électorale... Les Etats de l'Afrique de l'Ouest ? En ont-ils les moyens ? Reste la principale puissance militaire régionale, l'Algérie... mais si elle a toutes les raisons, et les moyens, de vouloir réduire les groupes armés islamistes, pourquoi s'attaquerait-elle aux Touaregs qui ne la menacent ni ne la contestent ?

Et la Syrie dans tout ça ? Eh bien les choses y sont assez claires : Assad ne veut pas finir comme Kadhafi, l'opposition ne veut pas renoncer à l'éliminer, son clan et sa communauté religieuse ne veulent pas se retrouver victimes d'une épuration, les voisins de la Syrie ne veulent pas se retrouver avec d'anciens partisans d'Assad crapahutant armés dans toute la région, et tout le monde, finalement, derrière les beaux discours, les vibrants appels, les longues négociations et les dévoués émissaires, vogue vers l'Orient compliqué avec une idée simple : que les métèques qui s'y entretuent le fassent chez eux, entre eux, sans déborder de leurs frontières. Ce cynisme ordurier, est pourtant bien illusoire : l'ONU a déjà enregistré 25'000 réfugiés syriens en Turquie, 10'000 au Liban, 7'000 en Jordanie et 800 en Irak). Et si en Syrie, plus de 100 personnes, dont trois quarts de civils, ont été tuées dans la seule journée de lundi dernier, l'armée syrienne a aussi tiré sur un camp de réfugiés installé en territoire turc et a abattu un cameraman libanais à la frontière. Plus longtemps la tuerie syrienne se poursuivra, plus longtemps le clan Assad réussira à rester au pouvoir par la force des armes, plus les morts et les exilés s'accumuleront, plus nous aurons, en Europe, en en Suisse, à en gérer les conséquences collatérales, mais plus longtemps aussi l'ordre du monde réussira à se préserver d'un nouveau conflit « à la malienne », au Proche-Orient cette fois, mais né comme au Sahel de la chute d'une dictature voisine et de l'incapacité d'en mesurer les conséquences.

Combien de morts syriens acceptera-t-on pour se prémunir de la dissémination des armes sysriennes hors de Syrie ? Bah, autant qu'Assad voudra...

Commentaires

Articles les plus consultés