Parti socialiste suisse et politique de l'immigration : Dis Tonton, c'est quoi, « Etre de gauche » ?


La direction du Parti socialiste suisse lance un débat interne sur la politique d'immigration, à partir d'un « papier de position » (disponible sur www.pssuisse.ch/migration)  sur lequel les partis cantonaux, puis les sections, et enfin le congrès, en septembre, devront se prononcer. Et la simple annonce de ce débat interne a suscité un débat public. Que le PS suisse mène un débat sur l'immigration dessine en effet un enjeu important. Raison de plus pour que ce débat n'aboutisse pas à des prises de positions qui caresseraient les xénophobes dans le sens du poil. Parce que le PSS s'y perdrait, sans rien gagner de ce qu'il convoite : le retour d'un électorat populaire perdu... car « être de gauche », ce n'est pas, ou ce ne devrait pas être, une posture autoproclamatoire, mais une cohérence entre des principes et des propositions...

Un débat important en soi, et parce qu'il se mène au sein du PS...


Le débat sur l'immigration n'est pas nouveau au PS, ni les contradictions qui s'y expriment, ni les dilemmes qui le traversent... ce débat, ces contradictions, ces dilemmes traversent le PS et les syndicats depuis plus d'un siècle. Et les termes mêmes du débat, et les contradictions qu'il trimballe, sont toujours les mêmes. On n'est donc pas devant une poussée d'acné politique printanier, on est dans un débat de fond, séculaire, mené en permanence hors le regard des media mais qui se mue périodiquement en débat public, lorsque l'y pousse l'actualité (l'arrivée de main d'oeuvre européenne, la pression sur les salaires, la montée du populisme xénophobe). De ce point de vue, la direction du PS a raison de lancer le débat, et Christian Levrat raison de se réjouir de l'affronter. Non seulement le débat est important par son thème, mais il l'est aussi par son lieu : le Parti socialiste.  Parce que c'est au sein du PS que la contradiction entre les grands principes et les actes politiques prend toute son importance. Parce que le PS est un parti gouvernemental, qu'il pèse en gros 20 % de l'électorat de ce pays, qu'il a des élues et des élus partout et dans tout le pays, des conseils municipaux au gouvernement fédéral,  et qu'il est, ou est encore, le seul parti de gauche dont les choix aient aujourd'hui réellement de l'importance s'agissant de la politique migratoire.  Que la quatrième composante et demi de la gauche de la gauche genevoise mène un débat sur l'immigration, tout le monde s'en fout, parce que c'est sans enjeu et que cela le restera tant que la gauche de la gauche ne s'est pas résolue à choisir entre rentrer au PS pour y constituer une aile gauche, comme c'était le cas dans les années trente autour de Léon Nicole, ou se rassembler dans un mouvement commun, comme celui qui se fait en ce moment autour de Mélenchon en France.


La direction du PSS présente donc un projet de programme « Pour une politique migratoire globale et cohérente », et c'est en soi une fort bonne chose. On ne voit d'ailleurs pas à quoi rimerait un programme « pour une politique migratoire parcellaire et incohérente », puisqu'elle se mène déjà. Dans la circulaire aux membres du parti, les invitant à prendre prendre au débat, le président du PSS explique que le but de l'exercice est « de souligner qu'il existe des réponses socialistes aux défis majeurs engendrés par l'immigration ». Et comme l'absence d'immigration engendrerait des défis encore plus « majeurs», qu'il serait impossible de relever, Christian Levrat poursuit, pertinemment : « Ce n'est d'ailleurs pas la migration qui constitue à proprement parler, un problème. Elle agit plutôt comme un verre grossissant qui rend les négligences et le manque de décisions politiques en la matière nettement plus visibles et perceptibles ». Et de donner comme exemples l'insuffisance, et donc l'inefficacité,  des mesures d'accompagnement à la politique d'immigration « dans le domaine du travail,  du logement et de la formation ». Conséquence : « une part toujours plus grande de la population considère comme une menace l'augmentation de l'immigration qui découle de la libre circulation des personnes ». Certes, mais une prise position socialiste sur la politique migratoire ne peut pas se contenter d'être calibrée à ce qui est a priori acceptable par l'opinion publique dans l'état où elle est, ou par l'électorat socialiste dans l'état où il est. Elle doit constituer cette opinion ou cet électorat, non la suivre ou lui faire écho.


Le pragmatisme, c'est le moyen de faire passer une position radicale (au sens étymologique du terme), qui aille aussi loin que possible. Sur la liberté de circulation et l'immigration comme sur le revenu minimum, la gratuité des services publics ou les alternatives à la prison. Or tel qu'il nous est présenté aujourd'hui, le papier de position de la direction du PSS n'est pas acceptable : il est perclu d'ambiguités et de contradictions, d'insuffisances et de prudences inutiles et nuisibles.  Comme l'a immédiatement relevé la Jeunesse Socialiste, il n'est pas acceptable de réduire les migrants à de simples sujets économiques, et la migration à une simple question de quantité.


On choisit de défendre qui, contre qui, quand on définit une politique socialiste d'immigration, ou une politique sociale de gauche ? Nous avons à défendre les travailleurs, les travailleurs en Suisse puisque nous sommes en Suisse, mais nous avons à les défendre tous, et toutes. Indigènes et Immigrants, résidents et frontaliers, statutaires et sans papiers. Et nous avons à les défendre contre le patronat, voire, le cas échéant, contre l'Etat -pas à les défendre les uns contre les autres, en choisissant celles et ceux qui méritent d'être défendus et celles et ceux qu'on peut laisser tomber parce qu'ils ne sont électoralement pas intéressants.

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