Placebo migratoire : Le Conseil fédéral active la clause de sauvegarde des apparences


Le Conseil fédéral a décidé d'« activer » la « clause de sauvegarde » prévue dans l'Accord passé avec l'Union Européenne sur la libre circulation, et d'imposer dès le 1er mai, pour un an renouvelable une fois, des contingents d'immigrants pour les ressortissants polonais, hongrois, tchèques, slovaques, slovènes, lettons, estoniens et lituaniens. Le gouvernement suisse justifie cette mesure, critiquée par l'Union européenne, par la pression démographique exercée sur le pays, le dumping salarial qu'entraînerait l'immigration et la concurrence exercée par de « faux indépendants » venant des pays désormais contingentés. Or la mesure prise ne répond à aucun de ces problèmes, ne concerne que 6 %, tout au plus, de l'immigration en provenance de l'Union Européenne, et, comme le Conseil fédéral lui-même le sait, son remède n'est qu'un placebo...

Quand un gouvernement se transforme en sémaphore, il gesticule. Quoi d'autre ?

En « actionnant la clause de sauvegarde » prévue dans l'accord de libre circulation avec l'Union Européenne, le Conseil fédéral ne se fait pas d'illusion sur l'efficacité concrète de sa décision : il a voulu donner un signal, c'est fait. Le signal est inconsistant, mais quand un gouvernement se transforme en sémaphore, on ne va pas en attendre autre chose qu'une gesticulation. Et donc, le gouvernement suisse gesticule. Dans le vide : la mesure qu'il prend ne concernera, au maximum, que 4000 personnes (virtuelles demandeuses d'un permis B), soit moins d'un immigrant européen sur quinze; d'autre part, la Roumanie et la Bulgarie, ne sont pas concernées, puisque la liberté de circulation ne s'applique pas à elles. La mesure ne s'applique pas non plus aux autorisations de courte durée, qui resteront en nombre illimité même pour les huits pays « contingentés ». Enfin, dès 2014 au plus tard, leurs ressortissants retrouveront leur totale liberté de circulation. Bref, on pisse dans un violon en espérant que la musique de cette miction calmera les esprits xénophobes avant que l'on se prononce sur une initiative udéciste (elle vient de l'ASIN, mais le tonneau est le même) demandant la ratification obligatoire des traités internationaux par le peuple.

D'ailleurs, à l'exception de l'UDC, du PDC et du PLR (qui regrette que le contingement ne soit pas décidé clairement pour deux ans), à peu près tout le monde, à gauche et à droite, considère l'exercice auquel se livre le gouvernement suisse comme un peu vain. Même le Conseil fédéral admet, par la voix de Simonette, que les contingents ne règleront rien. L'Union Suisse des Paysans proteste : le contingentement va augmenter les coûts salariaux dans les exploitations à production intensive (bon, de cela, à vrai dire, on se fout un peu), le Parti Socialiste et l'Union Syndicale relèvent qu'aucune réponse ne peut être donnée de cette manière ni à la sous-enchère salariale, ni au contournement du droit du travail par de « faux indépendants », ni à la surchauffe immobilière provoquée par l'installation de personnel importé par les multinationales (elles ne l'importent pas d'Europe de l'est...) et l'Union patronale et Economiesuisse ne voient aucune utilité à prendre une mesure de contingentement pour répondre à des problèmes qui ne découlent pas de la libre circulation.

Alors quoi ? Alors rien : le contingentement temporaire de l'immigration de ressortissants de huit pays de l'est européen ne répond ni à la nécessité de lutter contre la sous-enchère salariale, ni à celle de renforcer la protection des travailleurs contre les violations du droit du travail et des conventions collectives, ni à une très illusoire urgence de lutter contre une non moins illusoire invasion étrangère: il ne répond qu'au besoin politique, intérieur, du gouvernement de convaincre l'électorat de l'UDC et de ses avatars plébéiens locaux (la Lega, le MCG) qu'il prend au sérieux ses inquiétudes. Mais sans se résoudre à y répondre concrètement, comme le demandent la gauche et les syndicats, en renforçant les mesures d'accompagnement, en durcissant la législation protégeant les droits sociaux, en sévissant contre la sous-traitance aux «faux indépendants», en acceptant, enfin, d'instaurer un salaire minimum légal. Toutes mesures qui seraient infiniment plus efficaces que les gesticulations sémaphoriques de mercredi, mais qui, évidemment, ne complairaient pas à ceux à qui elles servent la soupe, et que la situation actuelle, finalement, arrange autant que l'impuissance volontaire de la droite à y faire face.

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