Présidentielle française : Entre deux fronts, choisir le républicain...

Tirer la chasse... et après ?

François Bayrou annonce qu'il votera pour François Hollande, ou plutôt contre Nicolas Sarkozy. Même s'il n'appelle personne à faire comme lui et ne donne que son choix personnel, ce choix, ajouté à celui de Marine Le Pen de voter blanc, favorise indubitablement le candidat socialiste. François Hollande n'est certes pas encore élu, mais rassembler de Mélenchon à Bayrou, contre la drague par Sarkozy de l'électorat du Front National, dans un « Front Républicain » façon « tripartite » des premiers gouvernements PC-SFIO-MRP de l'après guerre, c'est déjà une sorte de performance (même si Jacques Chirac avait fait encore mieux en 2002 en rassemblant de Sarkozy aux anars...). De toute façon, lundi, la France aura élu un nouveau président. Même si Sarkozy devait contre toute attente refaire son retard. Parce que le Sarko cuvée 2012 n'est plus le Sarko cuvée 2007 : il est pire. Dimanche, sauf énorme surprise, les Français auront tiré la chasse sur Sarkozy... mais au fond de la cuvette, le Front National sera toujours là...


« Il y a ceux qui parlent de rassemblement, et ceux qui l'ont fait » (Nicolas Sarkozy)


La droite populiste, avec une forte composante d'extrême-droite en son sein, et même une frange ouvertement fasciste, progresse dans toute l'Europe depuis les années '90 du siècle passé. Elle progresse aussi en France, mais, contrairement à l'Italie, à l'Autriche... et à la Suisse, elle n'y est au gouvernement qu'indirectement, lorsque le gouvernement, ou le président (et le gouvernement suit, forcément) s'en fait le fourrier et en reprend sinon les propositions, du moins les thèmes, les attitudes et les discours. Il n'y aura jamais de président(e) de la République française issu du Front National -mais on voit aujourd'hui un président de la République française tenter de se succéder à lui-même en tenant le discours du FN.


L'avancée du FN en France répond à celle du FPOe autrichien, du Parti de la Liberté néerlandais, du Parti du peuple danois (et de l'UDC suisse, même si sa progression, jusqu'alors constante, a été stoppée aux dernières élections fédérales et aux élections cantonales qui ont suivi). Il n'y a donc pas d'exception française dans le résultat de Marine Le Pen, ni dans ce qui l'a permis : ce que l'historien Damir Skenderovic appelle la « prolétarisation du vote populiste », ce passage d'une partie de la classe ouvrière du camp communiste au camp de la droite populiste, voire de l'extrême-droite. Au premier tour des présidentielles, un ouvrier sur trois a voté Le Pen, et seulement un sur cinq a voté Hollande (et un autre sur cinq Mélenchon)...


Cela étant, si Marine Le Pen fait, avec 17,9 %, un point de mieux que Jean-Marie Le Pen, elle reste nettement en deçà de la barre des 20 %, allègrement franchie par les droites de la droite autrichienne (28,2 %), norvégienne (23%) et suisse (26,6 %). Elle consolide le FN, elle ne le fait pas triompher. Elle le rend électoralement incontournable pour la droite (et dans l'immédiat pour Sarkozy qui devrait en siphonner au moins 80 % de l'électorat pour espérer rester président) mais le système électoral français le maintient à la marge du parlement et hors de toute espérance présidentielle. En revanche, sa capacité de nuisance est considérable : le FN peut faire ou défaire dans les urnes une présidence Hollande ou une présidence Sarkozy et, plus tard, une majorité de gauche ou une majorité de droite.. Et si son objectif est réellement celui que proclame sa cheffe, celui de recomposer la droite à son profit, elle n'a aucun intérêt à aider Sarkozy à garder pour lui et pour l'UMP la place qu'elle convoite : non la présidence, mais le leadership de la droite, comme Blocher a réussi à le faire pour l'UDC en Suisse, et avec à la clef le même chantage, adressé à la droite démocratique : ou vous maintenez autour de nou un « cordon sanitaire » qui nous plante dans la marge, et nous laissons la gauche vous battre, ou vous vous alliez avec nous, et nous pouvons ensemble battre la gauche -mais je pourrai ensuite prendre votre place. Toute l'UMP est traversée par ce dilemme aujourd'hui en France, comme le PLR et le PDC en Suisse : virer à droite en perdant le « centre» ou garder ce « centre » en se laissant grignoter par l'extrême-droite... et dans les deux cas, perdre la majorité. Comme Sarkozy, pour avoir perdu Bayrou sans gagner Le Pen, ce dont on se réjouira non sans observer que si l'élection de François Hollande signifiera bien la défaite de l'UMP, elle signifiera aussi, « objectivement » comme disaient les vieux léninistes, un succès du Front National.


Dégager Sarko, ce n'est pas se débarrasser de Le Pen : «le ventre est encore fécond...»

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