Pause au prétexte de l'Ascension : Prendre son temps pour ne pas le perdre




Les meilleures choses font une pause. Nous en faisons une, brève, de quelques jours, au prétexte d'une fête religieuse (l'Ascension) dont peu de celles et ceux qui en profitent célèbrent ce qu'elle est supposée célébrer (la montée du Christ au ciel), et à quoi plus grand monde, sans doute, ne croit vraiment. Nous faisons une pause, donc -une pause politique. Pour prendre un peu de champ, et nous livrer à l'exercice un peu schizophrène, mais indispensable, consistant à nous regarder, nous jauger, nous situer... à prendre un peu de temps pour ensuite en perdre le moins possible...


... parce nous ne siégeons pas n'importe où...

Nous pouvons, à Genève, puisque c'est là que nos histoires personnelles nous ont surpris, mesurer à la fois un privilège et une fragilité : le privilège d’être d'une République et d'une Commune paisibles, avec des problèmes et des interrogations de riche, et la fragilité de cette richesse, après le « coup de massue » de l'annonce de la fermeture de Serono, précédée d'annonces de crises budgétaires à venir. Pourquoi nous ? Pourquoi ici ? La crise, les licenciements, la dette, c’était pour les autres. La nécessité de lutter pour y faire face, c’était aillleurs. Et bien non : cela peut aussi être pour nous, même si ce que nous en vivons ramène à leur juste mesure et leur vraie place les enjeux sur lesquels nous nous sommes le plus bruyamment affrontés dans les enceintes où nous siégeons. Nous y siégeons d'ailleurs avec une efficacité contestable -et cela vaut pour toutes les forces politiques, toutes les majorités, tous les parlements... car nous travaillons à un rythme, selon des procédures, avec des méthodes du XIXème siècle. Il nous faut six mois pour décider de ne rien décider sur une proposition de crédit de quelques centaines de milliers de francs -il ne faut que six secondes à plusieurs milliards de dollars pour passer d’un compte en banque genevois à un compte en banque des îles Caïman...

Et puis, enfin, il y a ceci, que nous ne siégeons pas n'importe où, que nos enceintes parlementaires, cantonale ou municipales, sont les parlements de Genève, que le nom de cette ville est partout ailleurs lié aux droits de la personne humaine, à la recherche de la paix, à la défense des plus faibles... et que nous ne pouvons donc réduire le champ de nos préoccupations aux seuls problèmes dont nous avons réellement la charge et que nous pouvons nous-mêmes résoudre, ou tenter de résoudre. Nous avons d'ailleurs dans notre calendrier une date que nous pourrions, que nous devrions consacrer aux victimes des désordres du monde, plutôt que de scander chaque massacre par une minute de silence : la date du Jeûne Genevois. Et cette date là, en tous cas, si proche de celle qu'un calendrier confessionnel attribue à Saint Barthélémy, nous rappelle que nous aussi avons pataugé dans le sang, massacré ceux qui n’étaient pas de notre paroisse, de notre tribu, de notre langue, de notre famille politique ; que nous avons nous aussi commis les crimes que nous voyons aujourd’hui être commis par d’autres -et que, si nous ici, aujourd’hui, ne les commettons plus, d’autres fort semblables à nous continuent de les commettre. Notre  civilisation supérieure à toutes les autres l’est sûrement dans l’outillage et l’ampleur du massacre : elle a produit en un seul siècle le fascisme, le nazisme et le stalinisme... donnons donc des leçons aux autres : à défaut d’en avoir le droit, nous en avons certainement la compétence,  -celle du « Serial Killer » du « Silence des Agneaux » : c’est parce qu’il est un « Serial Killer » qu’il aide à mettre un autre « Serial Killer » hors d’état de nuire.

Une civilisation, cela se construit d'abord, comme son étymologie l'indique, à l’échelle d’une ville. Et donc à notre échelle. Nous en avons la charge à Genève, nous ne l’avons pas dans le monde -mais ce qui se passe ailleurs devrait nous inciter à nous donner les moyens de la construction, même ici, et en tous cas maintenant, de ces liens sociaux qui préviennent la violence -toutes les violences, les petites et les grandes, les délirantes et les calculées, celles dont on nous fait un spectacle et celles que nous ne voyons pas. Mais surtout celles contre les plus faibles -celles contre les forts ne sont après tout que leur salaire, ou le risque de leur métier.

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