Une chimère : le social-libéralisme




Si un spectre, le communisme, hantait naguère l'Europe, une chimère plus récemment y pâtura : le « social-libéralisme ». Son nom de pâté d’alouette en signifiait la fadeur : tête « libérale » (le programme) et corps social-démocrate (l’électorat, les appareils de parti, les sièges) ; on ne trouvait dans le « social-libéralisme » ni les refus et les projets du socialisme, ni la logique du libéralisme, ni l’incroyable force subversive de l’un et de l’autre. Le « social-libéralisme », c’est la génuflexion devant le « marché », la substitution de la défense des consommateurs à celle des travailleurs, l’adhésion aux impératifs comptables, le fétichisme de la «modernité»… et par dessus tout, l’attrait de la mangeoire : Kouchner allant à Sarkozy, pas même comme à Canossa, mais comme à la soupe. Et puis la crise est venue. Et la chimère y a succombé.

Une vieille bestiole sur un vieux champ : le socialisme

Notre temps se prête à bien des errances politiques: la démocratie représentative fonctionne à la vapeur quand l'économie tourne au microprocesseur, l'Etat social communique par sémaphore quand le capitalisme financier métastase par internet. La chimère social-libérale naquit de ce retard des institutions sur la réalité, avec pour mot d’ordre : «Modernisons, sinon…»… sinon quoi ? La réalité du monde produisant des forces capables d’en détruire les vieilles structures de domination (l'Etat, le salariat, les églises, l'école, l'université), la question est bien de savoir si une volonté politique s'emparera de ces forces, ou si «l’économie» fera, seule et librement, son propre travail de création d'un ordre lui convenant. La réponse « social-libérale » était prévisible : rattraper le monde, faute de vouloir, le changer. « Changer le monde », ce vieux rêve socialiste, le libéralisme (le vrai, pas son avatar «social-libéral») semblait s'en charger.

Au sein de la gauche résonna donc l’appel à une «adaptation» aux règles, aux « lois », aux fonctionnement de l’économie toute-puissante. C’est à cet appel que répondit le « social-libéralisme » : puisque l’économie est de marché et qu’on ne veut rien y faire, accompagnons-la, traitons-en les dégâts, chargeons-nous de donner figure à peu près humaine au mécanisme économique. Le mot d’ordre du libéralisme est « chacun pour soi » ? Reprenons-le, embrumons l’ « enrichissez-vous ! » de Guizot par le « travailler plus pour gagner plus » de Sarkozy, nappons le tout d’une « conscience sociale » aussi impalpable que velléitaire. Réduisons l’égalité à une vague équité mômière. Labourons électoralement les classes moyennes : les pauvres ne votent pas. Ou votent mal. Et pleurons en chœur sur la concurrence (déloyale, forcément déloyale) que font les Verts aux socialistes auprès des bobos, et les populistes auprès des prolos.

Ce qui n'avait déjà plus grand chose de socialiste ayant désormais cessé de l'être, il ne restait plus qu’à transformer en sauveteurs des acquis de la social-démocratie ceux qui, « à gauche de la gauche » n’avaient cessé en trois quarts de siècle de faire son procès et de prononcer sa condamnation. Quand la social-démocratie se réduit en social-libéralisme, feue la gauche révolutionnaire procède à l’échange de ses vieux barils de Marx contre du concentré de Keynes. Changement de climat, mutation des espèces : les révolutionnaires d’il y a trente ans en furent réduits à organiser la défense des conquêtes du réformisme, abandonnées par les réformistes eux-mêmes.

Il ne devrait évidemment être question pour des socialistes d'adhérer de quelque manière que ce soit à un projet qui n’est libéral que dans le champ économique, mais il leur revenait peut-être d'utiliser le mouvement par lequel ce libéralisme borgne s’attaquait au vieux capitalisme aveugle. En ont-ils été capable ? Non. En seront-ils capables ? Cela ne dépend que d'eux. Mais la chimère social-libérale évanouie dans les fumerolles de la crise, et les gouvernements qui en avaient fait leur doxa tombés les uns après les autres pour n'avoir su se sortir des pièges dans lesquels ils s'étaient fourrés, peut-être que sur le vieux champ politique européen (et la Suisse en est, de ce champ) où pâturait la chimère et où résonnent aujourd'hui le refus des Grecs d'admettre leur vassalisation et la tentative des Français de redonner vie à la possibilité d'un changement, une vieille bestiole remontrera son museau : un mouvement socialiste...

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