Cécité dans la Cité




A l'ordre du jour du Conseil Municipal de la Ville de Genève, mardi et mercredi prochain (mais il est vrai en queue d'ordre du jour... sauf urgence accordée au débat), on trouve une motion de l'Entente (PLR, PDC) élargie à l'UDC) exigeant notamment (outre les reprises de demandes faites dans des motions déposées par la gauche il y a trois semaines) du Conseil Administratif qu'il « stoppe immédiatement » ses « déclarations irresponsables » mettant « en péril la présence de multinationales sur le territoire de la Ville de Genève ». Ce n'est pas grand chose, une motion. C'est une demande faite à l'exécutif, sur laquelle ledit exécutif peut sommeiller longtemps, et de laquelle il peut ne strictement rien faire du tout. Mais celle-là, si convenu que soit son texte et insignifiants que puissent être ses effets, a tout de même quelque chose d'exemplaire : une sorte d'aveuglement, qui mérite qu'on s'y attarde un peu.


Quand la Grande Genève vit sur un grand pied mais est dans ses petits souliers...


Le crash de Serono remet bien à Genève quelques pendules à l'heure, mais pas celles que les apprentis horlogers de la droite bidouillent dans le texte qu'ils proposent au Conseil Municipal : On a parlé d'un traumatisme pour Genève, après la liquidation sans motif légitime d'une entreprise performante et de plusieurs centaines d'emplois dans le plus grand licenciement collectif jamais opéré dans le canton. La fin de Serono serait en effet un événement gravissime. Mais pas un accident, ni, au sens étymologique, une catastrophe : la conséquence du choix délibéré d'un certain type de développement économique, et de la priorité accordée à un certain type d'entreprises. Et la question que cela pose est fort simple : à quoi cela sert-il à Genève d'attirer des entreprises à coups de cadeaux fiscaux pour les voir déguerpir dix ans plus tard, en laissant aux collectivités publiques le soin d'assurer l'avenir immédiat de leurs employés licenciés ?

Le type de développement qui a été choisi à Genève et que la droite veut pérenniser a des conséquences calamiteuses sur toute sa région : crise du logement pour les familles et personnes à bas et moyens revenus, crise de l'emploi pour les jeunes et pour les personnes dont la formation ne correspond pas aux champs d'activité des entreprises attirées dans la région, paupérisation de la classe moyenne, précarisation des classes populaires, sous-enchère salariale, dispersion de l’habitat, explosion des mouvements pendulaires (y compris de ceux de la délinquance, puisque ceux-là suivent toujours les autres), accroissement des nuisances et de la pollution.... Cette situation n'est pas une fatalité, mais la résultante du choix fait dans (et par) le canton de Genève (sans réelle consultation des autres composantes de la région) d'un développement économique fondé sur des activités s'inscrivant dans une économie financière et globalisée, ne répondant ni aux besoins de la population résidente ni au savoir-faire spécifique de la population active et de l'économie locales. L’écart entre les catégories sociales favorisées et défavorisées, et entre le centre de la région et ses périphéries, se creuse et génère des tensions sociales de plus en plus difficilement maîtrisables, chaque catégorie défavorisée faisant d'une autre catégorie tout aussi (ou encore plus) défavorisée le bouc-émissaire de ses difficultés... la région genevoise, aujourd'hui, c'est la crise du logement d'un côté de la frontière, la crise de l'emploi de l'autre côté, et des deux côtés : la dégradation de l'environnement, l'accroissement de la précarité sociale et de l'insécurité, la montée de la xénophobie et du racisme, l'ouverture de la chasse aux boucs-émissaires.

Un autre développement de Genève est nécessaire : un développement qui n'accroîtrait pas les inégalités et ne provoquerait pas le mitage du territoire; un développement qui profiterait à toutes et tous, et ne produirait pas des inégalités accrues. D'un tel développement, la droite genevoise (UDC comprise, qu'on ne peut sans sourire voir défendre les multinationales) semble ne pas vouloir. Pour elle, il faudrait poursuivre dans la même voie, vers le même mur : soutenir le même mode de développement, attirer les mêmes activités, produire les mêmes effets en aggravant encore les mêmes problèmes, ceux qui font que le canton de Genève, aujourd'hui, c'est en Suisse à la fois le plus haut taux de chômage et le plus grand nombre d'emplois par rapport à la population active, la plus forte densité d'habitation et la plus dure crise du logement, l'une des plus forte densité de millionnaires et milliardaires d'Europe et une pauvreté et une précarité sociales croissantes, le coeur d'une région de près d'un million d'habitants et l'absence d'un espace démocratique régional. Cela convient-il à la droite genevoise ? Il semble, puisqu'elle reste sur les positions qui sont les siennes, celles du Conseil d'Etat, de la majorité du Grand Conseil et de la Chambre de commerce, qui ne donnent aucune réponse à la crise qui menace l'économie genevoise, mais qui en résument fort bien les causes, en exprimant précisément la volonté de n'y rien changer, comme si l'enjeu était dans la présence massive à Genève des multinationales et non dans la construction d'une économie locale et régionale moins volatile, mieux implantée -et générant moins d'inégalités.

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