Basse-cour des mécomptes

  Le 4 novembre prochain, on n'élira pas seulement le successeur (ou la success... euse ? rice ? oresse ? -bref : Salika...)  de Pierre Maudet au Conseil Administratif : on élira aussi les six membres (trois magistrat-e-s et trois suppléant-e-s) de la Cour des Comptes. Une élection à la Cour des Comptes, ça ne vous dit rien, ne vous rappelle rien ? Vous avez la mémoire courte : il y a une dizaine de mois, on s'était offert à gauche l'un de ces jolis psychodrames dont nous semblons avoir périodiquement besoin, autour de la candidature du juge Daniel Devaud, présenté par « Ensemble à Gauche », alors que le PS avait l'intention de présenter son président d'alors, René Longet, pour remplacer une magistrate démissionnaire issue de ses rangs.

Un oxymore : l'élection dépolitisée

La concurrence avait été il y a dix mois fort rude pour l'élection partielle à la Cour des Comptes, entre le PS et « Ensemble à Gauche », qui, pour faire passer son candidat et inciter le PS à retirer le sien, avait usé des arguments politiquement les plus douteux (jusqu'à plaider, comme aujourd'hui le président du PLR en faveur des « candidatures d'experts », l'« apolitisme » de la Cour des Comptes, et donc l'illégitimité de la candidature d'un « politique » comme le président du PS) et des méthodes les plus contestables (jusqu'à reprendre la rumeur d'un accord entre le PS et le MCG). Le PS s'étant déballonné, Daniel Devaud avait fini par être le candidat unique de la gauche et, présenté comme une sorte d'homme providentiel, être élu à la Cour -contre l'UDC Nydegger, soutenu par toute la droite (ou presque : Guy-Olivier Segond soutenait Devaud). Et puis, crac ! dix mois plus tard, l'homme providentiel annonce qu'il ne se représentera pas et que son tour de piste de dix mois lui a suffi. Tout ça pour ça ? Ben oui, tout ça pour ça...

Si les négociations entre partis aboutissent à ce que les partis gouvernementaux souhaitent, l'élection, début novembre, des six magistrats, titulaires et suppléants, de la Cour des Comptes devrait voir s'affronter une liste de consensus PS-Verts-PDC, soutenue par le PLR, et une liste de la droite de la droite d'au fond à droite (MCG-UDC) vexée de ne se voir proposer qu'une suppléance, le tout en l'absence d'«Ensemble à Gauche», qui se découvre beaucoup moins d'« enthousiasme à participer » qu'il y a un an. Le but de cette élection « dépolitisée » (un bel oxymore, en démocratie...) explique la présidente du PDC, est de pondre une liste « plus pointue en termes de compétences et moins politisée »  qu'auparavant. Parce qu'auparavant, l'élection était trop politisée ? Ben oui, il paraît. On se souvenait pourtant d'avoir été assez surpris des protestations d'apolitisme et de professionnalisme, pour ne pas dire de corporatisme, à l'appui de la candidature de Daniel Devaud, présenté par «Ensemble à gauche» contre le Conseiller national UDC Yves Nydegger et, fugacement, le président du PS, René Longet, coupables d'être « trop politiques ». 
On avait pu à l'époque grandement s'amuser ou s'attrister, cela dépendait de notre humeur,  d'entendre un tel discours sous la plume de représentants de ce qui était encore supposé être «l'extrême-gauche», et qui semblait prête à dire et à faire à peu près n'importe quoi pour placer l'un des siens à la Cour des Comptes. La démission de Daviel Devaud semble avoir remis le discours de la gauche de la gauche sur de meilleurs rails, le porte-parole de solidaritéS redécouvrant que le débat électoral, pour cette institution comme pour toute institution élue au suffrage universel, « sera forcément politique » et que c'est «  légitime lors d'une élection populaire ». A défaut d'autre raison de le faire, on en remerciera donc Daniel Devaud.

La Cour des comptes a livré, entre 2007 et août 2012, 57 rapports qui ont été fort utile à la connaissance du fonctionnement et des dysfonctionnements du canton, des communes et des entreprises et fondations publiques. L'institution est donc tout à fait pertinente. Et tout à fait politique : juger et jauger du fonctionnement de l'Etat, c'est une tâche politique. D'autant plus qu'elle est accomplie par des magistrat-e-s membres de partis politiques, présentés à une élection populaire par ces partis, et élu-e-s en toute connaissance de leur affiliation politique. Le discours corporatiste et « apolitique »  tenu il y a dix mois par feue «l'extrême-gauche» relèvait donc de la plus parfaite mauvaise foi, ce qui n'avait évidemment rien enlevé à son efficacité, la pusillanimité du PS aidant, incapable de défendre son candidat. Et ce qui n'a pas empêché la droitunie de tenter d'agiter l'épouvantail de l'entrée de cette « extrême-gauche » à la Cour des Comptes et d'appeler ses troupes à lui « barrer la route ». Ce qu'elle n'arriva pas à faire à l'époque, mais ce qui, dix mois plus tard, se concrétise d'amusante manière avec la sortie de route du candidat de cette hypothétique «extrême-gauche», qui  explique sa démission par le fonctionnement « peu satisfaisant »  de la Cour et les entraves de la collégialité. Et Pierre Vanek de soupirer, pour solidaritéS : « Le secret de fonction auquel est soumis notre magistrat l'empêche de dire beaucoup de choses »... Le secret de fonction, cette vieille cagoule des tripatouillages de droite... ça valait la peine, d'élire un candidat de la gauche de la gauche, pour s'entendre dire qu'il ne peut rien dire à cause du secret de fonction.

La subversion n'est plus ce qu'elle était.

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