Le débat à trois temps

Le congrès du Parti socialiste suisse, à Lugano,  a donc adopté un programme de « politique migratoire ». Un débat programmatique, pour autant que l'on tienne à ce qu'il aboutisse (et nous y tenions), c'est un débat en trois temps : il faut d'abord un projet de programme, pour que le débat se fasse à partir d'une proposition -question de méthode- et non sous la forme d'un brain storming certes vivifiant, mais ingérable en séance plénière d'un congrès. La première condition du débat est donc l'entrée en matière sur un projet de texte, même si nous sommes en désaccord avec ce projet (on n'est pas dans le débat constitutionnel genevois actuel, sur un projet bouclé, mais dans un débat sur un avant-projet modifiable). Deuxième temps : le débat lui-même. A coups d'amendements, il fut mené. Et troisième temps, l'adoption du programme. Et il a été adopté, et nous pouvons, sur l'essentiel, compte tenu des amendements qui lui ont été apportés, le faire nôtre...  sans nous y restreindre...


Homo sum humani nihil a me alienum puto

Nul ici ne songera à nier que le parti socialiste doive se doter d'un programme de politique migratoire, car il n'est aucun enjeu politique sur lequel nous ayions à nous taire, et sur lequel nous puissions nous passer d'un programme. D'autant que nous sommes un parti gouvernemental, et que si nous ne nous dotons pas de notre propre programme, c'est celui du gouvernement auquel nous participons que nous endosserons.  Nous aurons forcément un programme : le nôtre ou celui du Conseil fédéral, et s'agissant de la politique migratoire, si imparfait qu'était le projet qui nous était soumis, c'est la distance qui le séparait des projets du gouvernement qui nous le rendait supportable. Mais s'il est nécessaire pour le PS d'avoir un programme en matière de politique migratoire, il l'est surtout d'avoir un programme socialiste distinct de celui de la droite, et plus encore de celui de l'extrême-droite. Distinct par ses propositions, et par sa logique. Car c'est à partir de ce qui nous distingue des autres, de ce qui nous distingue de nos adversaires, que nous pouvons progresser. Or si ce qui nous était initialement proposé était un programme, ce n'était de loin pas encore un programme distinctif : ce texte était toujours marqué par une tendance  à « prénégocier » nos positions, à les affadir pour éviter toute contestation frontale, au lieu que de les affirmer clairement. Ce programme était proposé pour être celui du parti socialiste, il n'était pas un programme socialiste. Il a donc fallu, avec une majorité de délégués du congrès, le « détricoter » et le « retricoter » -ce qui fut fait, notamment en revendiquant la régularisation des « sans papiers » et l'abandon des renvois forcés de « niveau IV» 
Ce travail de réécriture fut long, les défauts du textes étaient lourds : les principes fondamentaux n'étaient pas clairement posés comme tels, des choix d'opportunité ou de tactique étaient mis sur le même plan que des choix fondamentaux, le texte s'ouvait sur un premier chapitre évoquant les « risques et problèmes actuels en matière d'immigration », comme si l'immigration était d'abord un facteur de risques et de problèmes avant d'être un droit et un fait...  il posait toujours la problématique de l'immigration dans les termes d'une gestion des flux,  il entretenait toujours l'illusion d'une maîtrise nationale possible d'un phénomène mondial  et s'il proposait fort heureusement, l'abandon progressif du modèle « à deux cercles » (des droits différents pour les immigrants européens et pour les autres) il refusait toujours la régularisation collective des sans-papiers, et il acceptait toujours, même à titre exceptionnel, des pratiques qu'il reconnaissait comme humiliants et dégradants. Et puis, en filigrane, il y avait toujours cette tentation utilitariste de réduire l'immigration à celle de la main d'oeuvre, et de calibrer la liberté de circulation aux « besoins de l'économie », c'est-à-dire à ceux du patronat.
Le choix, pour la Suisse, aujourd'hui, d'une politique d'immigration est pourtant simple : c'est le choix entre l'immigration légale ou l'immigration illégale. A chaque fois que l'on restreint l'une, on renforce l'autre. Comme la frontière produit de la contrebande, la xénophobie d'Etat produit de l'immigration illégale.  C'est ce que produit la politique menée par la droite, et sa droite, depuis vingt ans : de l'immigration illégale, des clandestins, des sans-papiers, des travailleurs au noir, des déboutés inexpulsables et un sous-prolétariat vivant de la délinquance. Et c'est la raison pour laquelle c'est la régularisation de tous les sans-papiers qui s'impose, et pas une shopping list des sans-papiers qui nous plaisent.

Le congrès socialiste a affirmé son choix d'une politique «clairement de gauche ». Une politique socialiste en matière d'immigration n'est pas une politique de gestion des stocks de main d'oeuvre à importer pour satisfaire les besoins de l'économie, redresser la pyramide des âges et financer les assurances sociales : c'est une politique de défense des droits fondamentaux -des nôtres, et de ceux des autres. Le projet qui nous était soumis ne satisfaisait pas à cette exigence, et nous ne l'admettions qu'avec la ferme intention d'en faire ce qu'il n'était pas encore, et que le congrès à fait en sorte qu'il soit : un programme socialiste. Perfectible, mais existant.

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