Prendre du champ...

On va faire un truc de bobo : prendre des vacances en octobre.
On enverra des cartes postales, parce que cela ne se fait plus et qu'on aime ce qui ne se fait plus. On ira écouter des Salve Regina dans des églises corses parce qu'on ne croit pas en Dieu et qu'on n'est pas Corse.
On reviendra avec des tas de trucs inutiles parce que l'utilitaire nous gave et que l'utile nous casse. Ce n'est pas que l'on se sente inutile, c'est qu'on veuille l'être. Etre inutilisable, pour ne pas être utilisé
On part, on ne quitte pas. On part en emportant ce qui nous importe. Des livres, des musiques, quelques idées, quelques visages.
On part pour prendre du champ, reprendre du souffle. Pour revenir avec un peu plus que ce que nous avions en partant. Un peu plus de livres, de musiques, d'idées, de visages.  Un peu plus de champ, un peu plus de souffle.
A dans dix jours...


De la vacance, de la liberté et de la prison...


On prend des vacances un peu comme naguère on allait, délibérément, en prison. Pour «prendre du champ», disons nous. Pour que les bruits du monde nous parviennent sans que nous puissions répondre à l’urgence qu’ils requièrent. Pour avoir vraiment le temps de les entendre, et d’en chercher le sens. Nous entendons, nous lisons, nous voyons -mais en vacance comme en prison, ne pouvons guère réagir, et moins encore agir. Or le pouvons-nous réellement, lorsque nous croyons le faire là où nous sommes accoutumés d'être et que nous faisons dans les règles ce qu'on nous demande de faire ?

Une semaine de vacances, un mois ou un an de prison, c’est une semaine, un mois ou un an sans agenda -sans manifestations, sans réunions, sans séances de travail ; pour autant, est-ce une semaine, un mois, ou un an, politiquement vides ? Là où le monde dont nous voulons changer se révèle le plus clairement à nous, c’est peut-être là où il croit nous priver le plus sûrement de toute possibilité d’agir sur lui -et à plus forte déraison, contre lui.
Et puis quoi ? Sommes nous si sûrs et si heureux de ce que nous faisons habituellement, qu’il nous faudrait en prendre le deuil lorsque nous ne pouvons plus le faire ? Sommes-nous si efficaces « ici » que nous serions impuissants « ailleurs » ? Sommes-nous si libres dans la rue, au travail, en famille, dans nos organisations, qu’il nous faudrait prendre la prison ou les vacances pour l’ombre de cette lumière ? De quoi la vacance ou la prison nous ampute-t-elle  ? Au fond, de rien, sinon de l’illusion d’agir.
La réalité nous rattrapera bien assez tôt, et ses agendas s'imposeront à nous bien assez tôt, pour que nous puissions nous autoriser à la fuir et à ne pas les remplir, pour ce court temps que l'on désigne par un mot, la vacance, qui signifie «vide». Ce qui serait ainsi « vide » serait le temps, et  il est  à la fois singulier et exemplaire que dans nos sociétés laborieuses, et d'un labeur contraint, et surorganisées, le temps qui devrait être libre soit désigné par un mot qui le qualifie de vide...
Tout le temps que la réalisé saccage est dans l'espace de ce mot qui fait de la liberté une absence. Ce temps ne s'en connaît plus qu'un seul : le présent. Mais Augustin a tort : le présent n'existe pas. Le présent, ce n'est que ce moment où le passé et l'avenir se rejoignent. Il n’y a pas de présent, sinon dans le moment immédiat de la mort. Le temps que je dise au présent, ce que j’ai dit est déjà dans le passé. Il n’y a que du passé et de l’avenir, de l’advenu et du non-encore advenu, et nous ne pouvons vivre avec l’un qu'en nous projetant dans l’autre, ou cesser de vivre –en créant du présent par le seul fait de ne plus être qu’au passé.
On se souhaite une bonne semaine de vacance.

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