A propos de l'esprit de sérieux en politique

Prenons le parti d'en rire...

Les politiciens sont gens sérieux. Très sérieux. Trop sérieux. Et tel débat politique local que nous ne préciserons pas plus ici de crainte de lasser le lecteur, nous le démontre avec une belle acuité : il n'est pas loin du sérieux à la bêtise, et il nous faut bien avouer qu'il nous est, à nous aussi, arrivé de nous prendre au sérieux en prenant au sérieux le fugace mandat qui nous fut accidentellement accordé par un électorat distrait. Certes, nous nous sommes repris de cet esprit de sérieux et de révérence à l'égard de l'institution, mais nous le savons  toujours nous menacer.


La ligne droite est toujours le chemin le plus con pour aller d’un point à un autre

l ne devrait être pour nous de meilleure méthode politique, de plus sûr moyen de radicaliser le possible changement et d’en hâter le moment, que celui qui consiste à introduire dans tous les fonctionnements sociaux, dans chacun et dans le moindre d’entre eux, l’élément de trouble qui non seulement le perturbera, mais permettra d’en rendre évident le caractère fondamentalement arbitraire. Nous avons, pour chacune des situations dans lesquelles l’individu se trouve confronté à une norme sociale, à lui opposer l’élément -l’acte, le lieu, la structure éphémère, la parole- qui désarticulera et délégitimera cette norme.

Jouer avec les normes, détourner les structures, laisser dériver librement les volontés de changement, et dériver nous-mêmes dans nos actes, hors des vues balisées : telles devraient être les méthodes premières par lesquelles agir, et en fonction desquelles nous devrions nous obliger à nous comporter, moins d’ailleurs pour réaliser nos objectifs que pour en manifester à la fois la possibilité, la légitimité et l’urgence. Une exploration de la politique s'impose, de ses chemins de traverse et de ses détours, dans et hors des institutions. Nous savons que la ligne droite est toujours le chemin le plus con pour aller d’un point à un autre. Nous savons que cette règle vaut plus encore pour la politique et dans l’histoire que pour le déplacement et dans la géographie. Il pourrait nous incomber d’en faire la démonstration publique, sur le terrain de tous les changements possibles, en ne nous interdisant aucun moyen d’action, aucune méthode, aucune stratégie -sinon ceux et celles contradictoires de notre projet.
Nous voyons dans un usage politique de la dérive et de l'ironie une réponse à la programmation, la planification, la détermination des actes et des enjeux politiques en fonction d’un calendrier et d’échéances fixées par les institutions politiques elles-mêmes. Le temps de l’action politique ne saurait pour nous être capté par les institutions mêmes dont nous voulons nous débarrasser -ou, à tout le moins, que nous voulons changer. Or c’est bien cela, aussi, qui pèse sur les actions de « la gauche », courant d’échéances électorales en référendums et de votations en sessions parlementaires, dépossédée de toute capacité d’initiative autonome et se condamnant elle-même à l’attente, pour les soutenir ou les combattre, de propositions tombant des institutions comme les Tables de la Loi sur Moïse ou le Coran sur le Prophète. Entre attentisme et défensive, la gauche a monnayé une illusion d’influence en la payant d’une évidence d’impuissance -sauf bien sûr à considérer comme une « puissance » la capacité de propulser quelques un(e)s des sien(ne)s dans les sphères du pouvoir que l’on était supposer combattre -ou changer. Cette  réduction du rôle des partis de gauche à celui de bureau de placement pour candidats à la haute fonction publique ou à la politique professionnelle, et du rôle des syndicats à la fonction de bureau de réclamation sociale du capitalisme, laisse cependant à l’inventivité politique (révolutionnaire par conséquence, sinon par définition) un champ considérable : c’est ce champ que nous voulons explorer par la dérive, investir par le jeu, contrôler par le détournement.
Le pouvoir ne s’exerce jamais si bien, c’est-à-dire si lourdement, que sur des gens tristes. La tristesse isole et le pouvoir doit isoler les uns des autres ceux sur qui il s’exerce, précisément pour pouvoir continuer à s’exercer sur eux -ce qui justifiera d’ailleurs leur tristesse.

La politique est chose trop sérieuse pour être laissée à des gens sérieux. Nous ne le serons donc pas, et ferons en sorte qu'en chacun de nos actes le jeu soit non seulement présent, mais déterminant, et que l’humour en soit le langage.
 La libération est une fête : si les révolutionnaires avaient été moins tristes, sans doute leurs victoires auraient-elles été plus heureuses. Ce que nous avons à faire, nous avons à le faire en riant.
De nous-mêmes, sans doute, pour commencer.

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