Genève, 9 novembre 1932 : La gauche unie. Sous les balles.

Le 9 novembre est une sale date : celle du coup d'Etat de Bonaparte (le 18 Brumaire AN VIII) qui met fin à la révolution française, celle du coup d'Etat (raté, mais le pire est à venir) munichois de Hitler en 1923, celle du pogrom de la « Nuit de Cristal » dans toute l'Allemagne en 1938... et on en passe. Celle aussi, de la mort de Guillaume Apollinaire en 1918 et de Myriam Makeba en 2008. Et celle, en 1932, d'un massacre commis par l'armée suisse à Genève, contre une manifestation antifasciste. Nous le commémorerons ce soir.
OCCUPONS LA RUE CONTRE LE MILITARISME ET LA RÉPRESSION DES MOUVEMENTS POPULAIRES : Rassemblement à 17:45 devant la gare Cornavin, zone piétonne du Mont-Blanc (côté Poste du Mont-Blanc), puis manifestation jusqu’à La Pierre de Plainpalais.


Art. 126.1 de l'ancienne Constitution genevoise (en vigueur jusqu'au 31 mai) : « le Conseil d’Etat dispose de la force armée pour le maintien de l’ordre public et de la sûreté de l’Etat »


On sait commémorer, à gauche, et on a beaucoup à commémorer. On adore ça, commémorer. Des défaites et des victoires, des bonheurs et des tragédies. ça nous rassemble, quand le reste nous divise. Mais des événements que nous commémorons, nul, sinon ceux qui les vécurent, s'il en reste, n'est propriétaire, et si nous sommes héritiers des victimes du massacre du 9 novembre 1932, nos filiations sont compliquées : aucune des organisations qui appellent ce soir à le commémorer n'existait à l'époque (pas même le Parti Socialiste Genevois, puisque le PSG actuel n'est pas la continuation du PSG de Léon Nicole, exclu du PS suisse en 1939 et interdit par le Conseil fédéral en 1941, mais celle du PSdG de Charles Rosselet, c'est-à-dire d'une scission du PSG).  L'événement n'appartient donc à personne, mais à tout le monde -à toute la gauche. Cette commémoration est unitaire, parce que ce qu'elle commémore le fut aussi : une manifestation antifasciste réprimée dans le sang par l'armée suisse au secours de la droite genevoise. L'unité des morts sera toujours plus facile que celle des vivants -surtout quand les vivants se disputent l'héritage des morts.


Le 9 novembre 1932 a donc réalisé l'unité de la gauche genevoise, sous les balles de l'armée fédérale, appelée (conformément à la constitution de l'époque -toujours en vigueur, jusqu'au 31 mai prochain- qui assène dans son art. 126.1 que « le Conseil d’Etat dispose de la force armée pour le maintien de l’ordre public et de la sûreté de l’Etat »...) par un gouvernement genevois saisi de panique, pour protéger d'une contre-manifestation une parodie de «jugement  montée par l’extrême-droite et la droite patricienne locales contre les chefs du Parti socialiste, Léon Nicole et Jacques Dicker. Ce 9 novembre 1932, c'est la gauche unie qui proteste contre cette « mise en accusation des sieurs Nicole et Dicker »  et c'est la gauche unie (socialistes, communistes, anarchistes, passants qui passent) qui se retrouve fusillée par l'armée suisse. Ce sont les chefs du Parti socialiste dont les fascistes veulent faire le procès, avec la connivence du gouvernement cantonal. Ce sont des militants socialistes, communistes, anarchistes, sur qui l'on tire. Ce sont les chefs du parti socialiste et des militants communistes ou anarcho-syndicalistes, que l'on traîne au tribunal et que que l'on condamne. C'est le chef du parti socialiste genevois que l'on emprisonne*, et c'est le leader des syndicalistes anarchistes qui doit passer la frontière pour échapper au même sort, Et c'est le président du Parti socialiste, Jacques Dicker (dont l'arrière petit-fils vient de recevoir le Grand Prix du roman de l'Académie française et sera honoré pour cela par la Ville et le canton...) que toute la droite (et pas seulement l'extrême-droite) traîne dans la boue, à l'instar du respectable Journal de Genève pour qui, à l'endroit de Jacques Dicker, d'origine russe (et juive), « une regrettable erreur de manoeuvre fut commise. On s'est contenté de le naturaliser. C'est l'empailler qu'il eût fallu...»


On nous dira que le temps passe et que ces «  regrettables excès de langage ne sont plus de mise »... on répondra : allez faire un tour dans les tribunes du Grand Conseil ou du Conseil Municipal, et écoutez le MCG parler des Rroms... Le temps passe, certes. mais souvent en tournant en rond... On ira marcher un peu plus droit, cette fin d'après-midi, entre Cornavin et Plainpalais, pour se souvenir qu'en farce ou en tragédie, l'histoire peut se répéter.


*Le Parti socialiste suisse  fera, qu’il l’ait choisi ou qu’il y ait été contraint par ses cadres militants, du 9 novembre genevois un exemple politique. La brochure éditée sous sa responsabilité « au bénéfice des victimes de Genève » (« La nuit sanglante de Genève »), largement diffusée dans toute la Romandie, adopte un ton résolument offensif et rend la bourgeoisie responsable du massacre. La bourgeoisie, et sa presse : « René Payot, du Journal de Genève, et Eugène Fabre, de La Suisse, sont responsables de la campagne agressive et impitoyable, faite d’accusations grossières et parfois insensées, de calomnies de toute nature, atteignant non seulement le Parti socialiste mais encore les victimes du massacre elles-mêmes »  Plus haut, le PSS vise le Président de la Confédération, Giuseppe Motta, qui, s’il parle «abondamment de paix et de désarmement » à Genève à la tribune de la SdN), « s’est rangé sans hésitation du côté de la guerre civile » dans la rue genevoise. Et le PSS de renvoyer ces coupables du massacre devant leurs respectifs juges naturels : les tribunaux pour le colonel Lederrey, le «  mépris de l’opinion publique » pour les journalistes Payot et Fabre, le «jugement du peuple»  pour Motta.
Mais aujourd'hui, Motta a son avenue, et Payot passe pour un antifasciste..

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