Trois bicentenaires genevois à célébrer... comme ils le méritent

Corvées de mémoire...

Est-ce notre côté français ? c'est fou ce qu'on commémore, et s'apprête à commémorer, à Genève, en ce moment, entre la gauche de la gauche qui résiste au temps qui passe en brandissant le tibia (gauche) de James Fazy pour exorciser le spectre d'un changement de constitution, la Genève culturelle qui fait à Rousseau une fête que Jean-Jacques aurait peut être reçue avec reconnaissance de son vivant et qui l'eût consolé des bûchers de ses livres, mais qui aujourd'hui nous sert surtout à nous souvenir que la République de Genève est bien plus ancienne que le canton du même nom, et les trois bicentenaires que ladite République et sa Commune annoncent pour commémorer, l'un le retour de son oligarchie, l'autre un débarquement sans danger de quelques troupes suisses de parade, et le troisième la fin (jusqu'à ce jour) de l'indépendance de la République...


Du passé, faisons table rase...

Genève doit bien être, à notre connaissance, la seule république démocratique à célébrer comme une victoire la Restauration de son Ancien Régime oligarchique, et sans doute l'une des rares municipalités (de gauche, pour comble...) à se préparer à célébrer elle aussi cette restauration, qui entraîna son abolition pure et simple (la commune de Genève fut en effet un acquis du «régime français», aboli avec le retour, dans les fourgons des armées de la Sainte-Alliance, des aristos et grands bourgeois genevois qui avaient fui d'abord la révolution genevoise, puis l'annexion de Genève à la France).

Le canton, la Ville et les communes veulent donc célébrer trois « moment clés » de l'histoire de Piogre : la Restauration de l'Ancien Régime, le 31 décembre 1813 (un acte réactionnaire, au strict sens du terme), le débarquement de soldats suisses au Port Noir le 1er juin 1814 (ils avaient courageusement attendu que le risque se soit dissipé de voir les Français revenir) et l'entrée de Genève dans la Confédération helvétique le 19 mai 1815 (pas par amour de la Suisse, mais toujours par crainte de la France et de sa propension à foutre le bordel dans les pays circonvoisins). Un appel à projets va être (ou a été)  lancé et la  Tribune titre : « Genève cherche des idées pour son bicentenaire ».
Bon, d'abord, ce n'est pas le bicentenaire de Genève, puisque Genève est plus que bi-millénaire. Ensuite, Genève -mais laquelle, de Genève, au juste, est en quête d'idées pour ce douteux anniversaire ? la Grande Genève  ? la moyenne ? la petite ? L'officielle ou la réelle (sort de ce corps, Maurras...) ?
Ensuite, est-ce vraiment pour « son bicentenaire » que Genève devrait être en quête d'idées ? Ne devrait-ce pas être pour les quelques décennies (allons, soyons fous : les quelques siècles -gardons les millénaires au frais) à venir ? Et de quelles idées ? de celles qu'à contempler, incrédules, les taux de participation au scrutin constitutionnel, nous constatons que de l'avis des citoyennes et citoyens le projet de nouvelle constitution ne contient pas autant que ses promoteurs (ceux qui veulaient nous faire « entrer dans le XXIe siècle » en oubliant que nous y sommes déjà depuis douze ans) l'affirment - pas plus d'ailleurs qu'on y trouvera celles, « trompeuses et rétrogrades », que ses adversaires de gauche croient -ou font croire- d'y trouver ?

Des idées, nous en aurions bien trois à proposer : d'abord, pour commémorer la Restauration, l'abolir en tant que fête officielle, parce que franchement, la restauration de l'Ancien Régime par la vieille oligarchie revenue au pouvoir dans le sillage des Anciens Régimes vainqueurs de Napoléon, n'est pas un événement si glorieux que l'on puisse sans ridicule le glorifier encore; ensuite, pour commémorer le débarquement des soldats Suisses au Port-Noir, proclamer Genève « République sans armée »... enfin, pour commémorer l'entrée de Genève dans la Confédération, l'en faire ressortir....

Brisons-là  : il est vrai que les présents moroses nourrissent la nostalgie de passés qu'on se plaît à trouver glorieux, mais qu'il serait insupportable à la plupart d'entre nous de revivre. Ne nous résignant pas à notre présent, incapables de faire « du passé table rase » (il ne dépendrait pourtant que de nous que nous le puissions, au moins pour ce qui de son leg nous insupporte), nous pouvons nous offrir le petit luxe de laisser passer l'orage des règlements de compte post-constitutionnels et pré-électoraux qui suivent le résultat de la votation constitutionnelle. 
Une votation dont nous sommes prêts à parier que nul n'aura, dans cent ou deux cent ans, l'idée d'organiser la moindre commémoration -elle, au moins, n'encombrera pas la mémoire de nos successeurs : ils entreront dans la carrière quand cette scorie n'y sera plus.

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