Vivent les salopes ! et les salopiots...



Plusieurs centaines de femmes (et quelques dizaines d'hommes) ont participé samedi à la première  « marche des salopes » (slutwalk, en sabir mondialisé) organisée en Suisse, pour dénoncer les violences sexuelles dont sont victimes les femmes, et dont elles sont elles-mêmes rendues coupables lorsqu'à l'instar du flic canadien dont la parole fut à l'origine de la première « slutwalk », on leur dit que pour éviter les agressions sexuelles, elles ne devraient pas « s'habiller comme des salopes ». C'est quoi, s'habiller « comme une salope » ? C'est s'habiller comme on en a envie ? Pour aller sans risquer l'agression sexuelle là où on a envie d'aller, à l'heure où on a envie d'y aller ? Eh oui. Comme peuvent le faire les hommes.

«  Je suis une salope, mais pas la tienne ! »


Pourquoi aurais-je, moi, le droit de me promener tout seul à n'importe quelle heure dans n'importe quelle rue sapé n'importe comment, et pas mes copines ? Parce que je suis un homme, que je mesure un mètre nonante et que je pèse 85 kilos ? et alors ? ça me donne plus de droits, ça, dans une société civilisée ? Un lutteur de sumo a plus de droits qu'une danseuse classique ? La « marche des salopes »  genevoises de samedi répond, à sa manière à la fois radicale et festive, à ces innocentes questions. Et cela va plus loin, si cela y passe tout de même, qu'une dénonciation des prétextes que se donnent les violeurs pour justifier le viol. C'est aussi une dénonciation des vieux stéréotypes patriarcaux qui continuent de peser, non plus dans les lois (quoique...), mais dans les têtes -car dans bien des têtes, et pas toutes masculines, une femme ne peut encore être qu'une pute, une bonne soeur ou une mère de famille méritante. Des rôles incumulables, évidemment, et incontournables, évidemment. Des rôles que les « salopes »  veulent faire éclater, en même temps que les excuses ordurières des violeurs.
Ne nous y trompons pas : « salope » n'est plus le féminin de « salaud » mais plutôt celui de « salopiot ». Et la salope et le salopiot ne sont pas celle et celui qui salissent, mais celle et celui qui ne marchent pas dans les clous : «on s'appelle nous-mêmes salopes car c'est comme ça qu'on désigne les femmes libres », a ainsi proclamé l'une des organisatrices de la manifestation de samedi. Notez bien que, même dans les mots, et même dans ceux qui renvoient à la liberté de comportement, se niche le bon vieux machisme : un homme libre n'est pas un salopiot mais une femme libre est une salope, comme un homme public est un politicien mais une femme publique est une prostituée...

« Je suis la femme de MA vie », « ne me libérez pas, je m'en charge », « je suis une salope, mais pas le tienne » : la « marche des salopes » signale peut-être la renaissance d'un  féminisme redevenant ce qu'il fut longtemps : une subversion, une capacité d'user de la provocation et de la dérision autant que de la dénonciation et de la colère, une volonté de ne pas se laisser définir par les autres mais d'affirmer son droit, et son pouvoir, de se définir soi-même, en se réapproriant son corps et sa vêture (ou sa dévêture, ce qui revient au même), en adressant ainsi un formidable pied-de-nez (ou un formidable doigt d'honneur) à tous les intégrismes et à tous les patriarcats. A tous les pouvoirs, en somme, y compris au pouvoir que s'arroge le violeur sur le corps et sur toute la personne de qui il viole.

Du féminisme au lobbysme féminin, c’est peu dire qu’il y avait réduction. Le féminisme est un projet subversif, anarchiste même, en ce qu’il conteste radicalement (« à la racine ») quelques unes des institutions fondatrices de nos sociétés, institutions auxquelles le mouvement socialiste s’est intégré ou qu’il a admises : l’Etat et ses appareils répressifs ou idéologiques, l’école, la famille, la propriété privée transmise par héritage, l’Eglise même. Le lobbysme n'a jamais pour but que celui de participer à ces mêmes institutions : Ainsi renonçait-t-on à changer le pouvoir pour y revendiquer des places, en confortant ce que la subversion féministe contestait. La renaissance d'un féminisme subversif est donc une heureuse, une très heureuse nouvelle pour qui ne se résigne pas à ce que la politique se dissolve dans les plans de carrière.

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