Alors, cette apocalypse, ça vient ?

  « Par suite du mouvement de grève d'une certaine catégorie de personnel, la fin du monde est reportée »

Ce premier jour, jour de la tourbe, du mois de nivôse, premier mois de l'hiver, serait donc le dernier jour du monde ? tourbe nous serions, tourbe nous redeviendrions  ? Soit... Nous avons fait nos provisions de breuvages divers, à consommer sans trop de modération, histoire de noyer notre déception que le tintamarre plus ou moins distancé fait autour de la lecture improbable d'un non moins improbable calendrier maya (il fallait évidemment qu'il soit américain : un calendrier kanak, ça aurait fait moins de bruit) ne soit précisément qu'un tintamarre insignifiant. Parce qu'on se retrouvera demain avec le même monde que celui dans lequel nous vagissons aujourd'hui et brâmions hier.  Et parce que ce monde ne vaudrait guère qu'on le regrette s'il devait lui arriver de disparaître. On peut donc toujours se consoler du charabia cureton dont on nous submerge depuis des mois en se disant que l'intérêt porté à une hypothèse foutraque témoigne peut-être d'une envie, sinon de fin du monde, du moins de changement du monde...

Fin d'un monde, faim d'un autre


Ce n'est ni la première, ni la dernière fois qu'on nous prédit, sinon l'Apocalypse (spécialité des religions monothéistes), du moins la fin du monde : selon un historien français, elle nous a déjà été prédite 183 fois. La dernière fois, c'était entre Meyrin et Ferney-Voltaire que ça devait se passer : un trou noir au CERN devait tout engloutir. Mais c'est comme pour l'annonce de la mort de qui que ce soit, y compris la nôtre : la prédiction de la mort de tout et du reste finira bien par se réaliser : S'ils ne nous disent pas de conneries, les modèles actuels nous annoncent l'extinction du soleil dans, en gros, cinq milliards d'années, et la fin de l'univers actuel (après refroidissement et vide de toute matière) dans quelques centaines de milliards d'années. Dans plusieurs centaines de milliards d'années, toutes les étoiles s'éteindront, et toutes les galaxies seront englouties dans de gigantesques trous noirs. Avant, peut-être, qu'un nouveau big bang ne relance la machine universelle.  Mais on a largement le temps de voir venir. Et d'ailleurs, on ne verra rien, puisque toute vie aura disparu depuis fort longtemps. Le soleil, qui a déjà vécu la moitié de sa vie d'étoile, défuntera dans cinq ou six milliards d'années, d'abord en gonflant démesurément pour devenir une « géante rouge » qui se goinfrera toutes les planètes de son système les unes après les autres, puis, ayant consumé toute son énergie, se concentrera en une sorte d'énorme cristal de la taille de la terre et d'une densité des milliers de fois supérieure à celle des matériaux terrestres les plus denses.
Bref, fin du monde il y aura. Dans longtemps après nous -mais ne perdez pas votre temps à essayer de convaincre les alarmés qu'ils s'alarment trop tôt : s'ils croient réellement à ce qu'ils craignent aujourd'hui, ils ne cesseront pas d'y croire pour demain, tant il est plus facile de se dire qu'on a fait une erreur de calcul que d'admettre qu'on s'est fait bourrer le mou. 

De toute façon, ce n'est pas tant la fin du monde que nous craignons, mais notre propre fin -celle de nos «misérables petits tas de secrets»- ou celle de notre transitoire espèce... Or le risque majeur, non d'une fin du monde, mais d'une fin de la vie humaine sur son monde, n'est pas tant lié à une catastrophe naturelle, à une volonté divine ou une fatalité cosmique, qu'aux conséquences de la vie humaine elle-même, c'est-à-dire des activités des humains telles qu'elles sont socialement et économiquement organisées et culturellement justifiées. Et elles le sont arbitrairement : elles ne relèvent d'aucune loi naturelle, mais de choix. Et si ces choix s'avèrent mauvais, et c'est le moins qu'il nous semble pouvoir en dire, il dépend de nous de les inverser.
Nous craignons moins la fin du monde que le risque que ce monde continue à être ce qu'il est. Nous affirmons qu’il faut changer le monde, qu'il peut être changé, que ce changement doit être absolu, et qu’il ne peut se limiter à un changement de gouvernants, ni de gouvernance, sans être rendu impossible par cette limitation même. Nous affirmons que le monde ne sera changé que lorsque le changement de la vie, dans ses aspects les plus quotidiens, aura été consciemment engagé par celles et ceux à qui il est imposé de la vivre sans pouvoir la définir. Nous affirmons que le monde ne peut être changé qu’en détruisant ce dont nous ne voulons plus de lui. Il y a ainsi rien de mieux à faire  au prétexte du tintouin médiatique sur la « fin du monde», que tenter de savoir ce que signifie le temps qui passe,  de connaître qui nous le vole et de décider comment nous le réapproprier.
Nous affirmons que le monde change, et refusons d’être de ceux qui se contentent de contempler ce changement sans tenter de l’infléchir, de le radicaliser, de le pousser au-delà même de son terme. Nous savons que le changement du monde est aussi un changement des moyens de le changer, et que la première tâche des révolutionnaires, s'il en reste, est de changer la révolution elle-même.
Nous serons toujours moins radicaux que le moment dans lequel nous sommes. Nous ne sommes rien. Nous pouvons donc tout.

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