La longue patience des Palestiniens

Soixante-cinq ans plus tard...

Le 29 novembre 1947, l'Assemblée Générale de la toute jeune ONU avait adopté une résolution (la 141) préconisant un partage de la Palestine sous mandat britannique en deux Etats, un « Etat juif » et un « Etat arabe ». 65 ans plus tard, le 29 novembre dernier, ce jour ayant été décrété « Journée internationale de solidarité avec la Palestine » (un de ces grands moments d'hypocrisie autocongratulatoire que s'offre le système onusien), l'Assemblée Générale de la même ONU, augmentée de tous les Etats décolonisés et de tous les Etats issus de la désagrégation des empires, a accordé à l'Autorité Palestinienne un statut d'« Etat observateur », par 138 voix (dont celle de la Suisse) contre 9 (dont celles d'Israël et des Etats-Unis) et moyennant 41 abstentions. Qu'est-ce que le statut d'« Observateur » ? « Un peu plus qu'un strapontin, beaucoup moins qu'un siège », résume judicieusement « Le Monde ».


L'Etat : la nation qui s'en passe, trépasse ?

Un « observateur » dans le système des Nations Unies, c'est donc quelqu'un qui entend, qui voit, mais qui qui ne parle pas, qui n'a pas le droit de parler, qui doit parler par l'entremise d'autres que lui, dont l'adhésion désintéressée à sa cause est plus que douteuse et qui ont sans doute encore moins envie qu'Israël de voir émerger un Etat palestinien. La reconnaissance de l'Autorité Palestinienne comme «Etat observateur» ne va évidemment pas mettre fin à la colonisation, ni à la construction du mur, ni à l'occupation, ni au harcèlement de l'Autorité palestinienne par Israël (et le Hamas) et d'Israël par le Hamas et le Hezbollah, mais elle dit que les Palestiniens ne sont plus seulement une «population» mais un peuple, que ce peuple est devenu une nation, que cette nation vit sous occupation d'un Etat qui n'est pas le sien, qu'elle « a le droit » d'être un Etat, et de vouloir être plus qu'une population ou un peuple : être une nation, dans un monde où l'Etat est la forme normative par laquelle un peuple accède à la reconnaissance, et où une nation a droit à l'autodétermination, ce qui suppose son droit à un Etat. On devrait pouvoir se passer de la forme étatique (c'était d'ailleurs le projet de la Première Internationale...) mais les peuples et les nations qui décident, délibérément, de s'en passer, souvent trépassent de ce renoncement.  En acceptant les frontières de 1967, les Palestiniens ont renoncé à beaucoup : ils ont renoncé à la moitié du territoire que le plan de partage de l'ONU leur attribuait; ils ont renoncé par les accords d'Oslo au «droit au retour» de leurs réfugiés et des descendants de leurs réfugiés. A quoi devraient-ils encore renoncer ?
Reconnue aujourd'hui comme « presque un Etat », la  Palestine « arabe » était déjà une nation. Les nations n'attendent pas une « reconnaissance » d'une hypothétique « communauté internationale » pour exister : elle obtiennent cette reconnaissance parce qu'elles existent déjà. Nul autre que le peuple qui se constitue en nation ne peut décréter l'existence de la nation : elle se décrète elle-même. Il y a une nation juive parce que le mouvement sioniste en a décrété l'existence -avant quoi il n'y avait que des communautés religieuses juives, ou des populations ayant en commun une pratique religieuse juive, ou un héritage culturel laïcisé, mais puisant dans une « communauté de culture » impliquant l'héritage religieux et  dans une «communauté de destin» faite d'un millénaire et demi d'exclusions et de persécutions. Aujourd'hui, le même raisonnement conduit à reconnaître qu'il y a une nation rrom sans que l'ONU l'ait reconnue, des nations amérindiennes quand l'ONU ne consent à reconnaître que des «  peuples autochtones » , une nation kurde soumise à quatre ou cinq Etats différents... Et une nation palestinienne. Une nation existe dès lors qu'un mouvement parle en son nom, bien avant que cette autoproclamation soit entérinée par des Etats : il y avait une nation irlandaise avant l'indépendance de l'irlande, parce qu'il y avait un mouvement national irlandais... il y eut une nation juive dès lors que le mouvement sioniste la proclama, et il y a une nation palestinienne, proclamée par l'Organisation de Libération de la Palestine à Tunis, le 29 novembre 1988. La nation  est le produit d'une volonté politique et n'a d'autre condition à remplir pour exister que celle de cette volonté. Cela vaut pour Israël comme pour la Palestine.
Mais la reconnaissance internationale du droit de la nation palestinienne à être un Etat n'est qu'une étape, et les pires des uns sont les alliés des pires des autres : la poursuite des implantations, de la colonisation, des démolitions d'habitat, de la confiscation des terres, de la construction d'un mur qui n'est de sécurité que celle de la honte, est le meilleur argument de ceux qui, en Palestine, ne conçoivent de paix que celle des cimetières. Chaque missile du Hamas qui tombe en Israël renforce Netanyahou, et chaque missile de Tsahal qui tombe sur Gaza renforce le Hamas. Netanyahou et le Hamas ont bien mérité l'un de l'autre.

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