Non aux droits des autres !

Ils étaient contre le divorce, l'union libre, le partenariat, ils sont maintenant contre le mariage...

C'est une manie, une sorte de pulsion, quelque chose d'irrépressible, de pavlovien : manifester non pour ses droits mais contre les droits des autres. Des milliers de personnes ont manifesté samedi et dimanche en France contre le projet du gouvernement d'autoriser le mariage de personnes du même sexe. Des églises, des sectes, des «autorités religieuses» chrétiennes, juives et musulmanes ont appelé à ces manifestations. Les réactions religieuses avaient naguère manifesté contre le droit au divorce, contre le suffrage féminin, contre le droit à l'avortement, contre le partenariat. Elles manifestent aujourd'hui contre le droit des homosexuel-le-s au mariage. Que laissent-elles à celles et ceux à qui elles veulent imposer toutes les clôtures qu'elles trimballent ? le choix entre la chasteté, la branlette et le suicide ?


« Je connais des gens nés avec la vérité dans leur berceau, qui ne se sont jamais trompés, qui n'ont pas eu à avancer d'un seul pas de toute leur vie » (Louis Aragon)

Pour quoi manifestent ces jours en France les crétins enreligiosés qui, hier, ont roué de coups des militantes féministes déguisées en bonnes soeurs ? Pour leur propre droit au mariage ? Ce droit n'est en aucune manière menacé. Ils ne manifestent pas pour un droit, ils manifestent contre un droit. Ils manifestent contre l'accès d'autres à un droit dont ils disposent. Ils manifestent contre un droit au mariage « pour toutes et tous », et donc pour les homosexuel-le-s aussi.  En quoi la possibilité donnée à des couples de même sexe de se marier atteint-elle à ce droit des couples de sexes différents ?  En rien. En quoi atteint-elle aux « fondements de la société » ? Plus en rien, à moins de ne concevoir de société que sur le modèle de celles occidentales du XIXe siècle chrétien. On n'a cessé, dans l'histoire des sociétés, de redéfinir les règles conjugales et familiales : on est passé de la famille communautaire à la famille nucléaire, de la polygamie à la monogamie, du mariage définitif à l'autorisation du divorce, on a proscrit le mariage forcé, le mariage consanguin, le viol conjugal... L'anthropologue Maurice Godelier le rappelait dans Le Monde d'hier : « L'humanité n'a cessé d'inventer de nouvelles formes de mariage (...). est-ce que toutes les autres familles que celles de l'Occident post-chrétien sont irrationnelles ? C'est l'humanité qui les inventées !» et « aucune des sociétés qui ont accepté ces évolutions ne s'est effondrée » à cause d'elles. Ce qui était perçu comme scandaleux « est devenu banal, comme avoir des enfants sans se marier est aujourd'hui banal », comme se marier sans vouloir d'enfants... Et dans dix pays, les homosexuel-le-s ont déjà le droit de se marier.
Cela dit, revendiquer le droit au mariage, c'est revendiquer un droit au conformisme social, un droit à « être comme les autres », comme s'il y avait là une ambition plus honorable que celle de n'être que comme soi... mais ne pas vouloir du mariage nous autorise-t-il à en dénier le droit à d'autres ? Etre sans église ni religion nous autorise-t-il à interdire les mariages religieux ? Trouver les « Salons du mariage » grotesques nous autorise-t-il à y foutre le feu ?

Louis Aragon, qui en cinquante ans d'adhésion au Parti communiste en avait eu tout son saoul, de crétins enreligiosés, écrivait en 1959 : « Je connais des gens nés avec la vérité dans leur berceau, qui ne se sont jamais trompés, qui n'ont pas eu à avancer d'un seul pas de toute leur vie, puisqu'ils étaient déjà arrivés quand ils avaient encore la morve au nez. Ils savent ce qui est bien, ils l'ont toujours su. Ils ont pour les autres la sévérité et le mépris que leur confère l'assurance triomphale d'avoir raison. (...)  Quand ils mourront, qu'on écrive donc sur leur tombe : "il a toujours eu raison"... c'est ce qu'ils méritent, et rien de plus ». C'est ce que mérite le cardinal archevêque de Lyon qui associait le 14 septembre le « mariage gay » à la polygamie et à l'inceste. C'est ce que mérite le cardinal archevêque de Paris qui prévient que ce mariage «ébranlerait les fondements de notre société» (contrairement sans doute aux pratiques pédophiles ayant cours dans les rangs de sa propre église...). C'est ce que méritent le grand rabbin de France, le président du Conseil français du culte musulman, le président de la Fédération protestante de France, qui en appellent à des Etats Généraux sur la question...

En France, ces jours, ce sont essentiellement des catholiques intégristes (comme ceux de Civitas) ou conservateurs (comme ceux d'Alliance Vita) qui ont manifesté contre le « mariage gay », mais des hiérarques catholiques (l'archevêque de Lyon, celui de Paris), des curés, des imams, des rabbins y ont aussi appelé. Et des politiciens de droite (Jean-François Coppé, par exemple) y sont aussi allés de leur soutien aux processions du week-end. Reste que ce sont surtout des milieux catholiques qui se sont mobilisés contre le droit au mariage des homosexuel-le-s.  Quels Evangiles ont-ils lu, ces chrétiens autoproclamés ? Les mêmes que ceux qui pendant des siècles ont été utilisés pour justifier l'esclavage, le servage des femmes, les pogroms ? Jésus n'en avait rien à cirer des préférences sexuelles de qui que ce soit, et s'il y a quelque chose à retenir de son message, ce n'est pas la conformité aux normes sociales, mais peut-être le même message que celui d'Etienne La Boétie : le refus de la soumission volontaire.

Que les conservateurs religieux ne veulent pas étendre aux homosexuel-le-s le droit au mariage qu'ils revendiquent pour eux-mêmes, et dont il font d'ailleurs une obligation sociale, cela les regarde. Qu'ils le refusent aux autres, c'est cela l'intolérance.
Pour elle aussi, il y a des maisons : on les appelle des églises.

Commentaires

Articles les plus consultés