Réforme du système de retraite : Déficeler le « paquet Berset »

Le Conseiller fédéral Alain Berset veut réformer le système suisse de retraites. Et contrairement à ses prédécesseurs, qui s'y sont tous cassé les dents, il veut réformer à la fois l'AVS et le Deuxième Pilier, mais de telle manière que chaque futur-e retraité-e ait à la fois à perdre et à gagner à la réforme proposée. A perdre, c'est le passage de 64 à 65 ans de l'âge de la retraite des femmes (ou, plus précisément, de l'âge de référence pour le droit à une retraite pleine et entière), la réduction du « taux de conversion » du 2e Pilier, qui permet de déterminer le montant des rentes en fonction du capital accumulé, des réductions de rentes de « survivants » (veuves et veufs, orphelin-e-s), des augmentations de cotisation pour les « indépendants »... A gagner (dit-on), c'est une augmentation des prestations en cas de prolongement de l'activité professionnelle au-delà de l'âge de référence (mais on peine à considérer comme un progrès la mise de septuagénaires au boulot) et des conditions de retraite anticipée plus favorables pour les plus bas revenus et des possibilités de retraite partielle ou progressive. On se retrouve donc avec un « paquet » de propositions contradictoires, qui ne suscite l'adhésion ni à droite, ni à gauche, ni même dans le propre parti d'Alain Berset, et que chacun s'attelle déjà à déficeler.

« Travaillez plus, gagnez plus », le retour...

Alain Berset n'avait pas présenté son projet de réforme des retraites que les Femmes Socialistes lui balançaient un communiqué refusant sèchement que cette réforme se fasse « sur le dos des femmes », en augmentant d'un an l'âge auquel elles pourraient avoir droit à une retraite pleine et entière. Quant au PS, il ne veut pas entendre parler, même par son conseiller fédéral préféré, d'une augmentation de l'âge de la retraite sans que des mesures de compensation soient prises en même temps : « si les autres partis imposent une baisse des rentes, les socialistes lanceront à coup sûr un référendum », annonce la vice-présidente du PSS (chiche ?). Or si le Conseil fédéral évoque des mesures de «flexibilisation» de l'âge de la retraite, c'est vers un âge plus élevé que les 65 ans de référence, avec une rente plus élevée que la rente de référence. Comme si les « seniors » n'avaient aucun problème pour trouver du boulot. Et comme si l'élévation de l'âge de la retraite pouvait, accompagnée ou non de mesures compensatoires, être considérée comme un progrès -même si on admet que le système de l'« âge couperet » a fait son temps et mérite, lui au moins, d'être mis à la retraite. D'ailleurs, l'âge réel de prise de retraite se situe, en moyenne en Suisse à 64 ans et un mois pour les hommes et 62 ans et sept mois pour les femmes, 35 % des Suisses-ses travaillent (au sens « professionnel » du terme) au-delà de l'âge actuel de la retraite, sept sexagénaires sur dix travaillent encore et 20 % des personnes « actives » professionnellement prévoient de le rester après l'âge légal de la retraite. Il n'empêche : si le « marché du travail » n'accepte déjà pas aujourd'hui l'embauche de sexagénaires, reculer encore l'âge de la retraite n'équivaudrait qu'à un transfert de charges de l'AVS vers l'assurance-chômage.

Cela, ce sont des critiques « de gauche » du « paquet Berset » (auxquelles on ajoutera celle de l'intention de faire financer l'AVS, assurance sociale, par la TVA, impôt antisocial, plutôt que par un impôt sur les grosses successions ou les grandes fortunes). Mais à droite, on le déficele déjà aussi -quoique pour des raisons évidemment opposées à celles des critiques de gauche. A droite, on ne veut pas discuter en même temps de l'AVS et du Deuxième Pilier. Et on ne veut pas prendre le temps que se donne Berset (une consultation en 2013, un projet en 2014) : on veut trancher tout de suite, et qu'un projet soit présenté fin 2013. Et on ne veut pas non plus financer une réforme par une augmentation de quelque impôt que ce soit. Et on verrait bien en revanche une élévation globale de l'âge de la retraite, à 67 ans (au moins) pour tout le monde, avec le moins de compensations possibles, et l'instauration d'un mécanisme automatique, genre « frein à l'endettement », imposant en cas de difficultés financières du système une réduction des prestations ou une augmentation des ponctions. Quant aux assureurs, ils demandent une baisse la plus rapide et la plus forte possible du « taux de conversion » du capital de prévoyance professionnelle en rente de retraite. 

Il est pas sorti de l'auberge, Berset, avec son projet. Et nous non plus, du coup. Parce que si quelques intuitions du projet méritent d'être retenues (et radicalisées), comme celle de lier plus étroitement les premier et deuxième pilier du système de retraite (mais nous, on veut carrément fondre le deuxième dans le premier, pas lui...) et celle de substituer un « âge de référence » à un « âge couperet », l'augmentation de l'âge de la retraite de la moitié de la population et la réduction du projet de « flexibilité de l'âge de la retraite » à un slogan du genre « travaillez plus longtemps, vos rentes seront plus fortes » nous fait plus penser à une resucée du funeste « travailler plus, gagnez plus» de Sarkozy qu'à un projet socialiste -même édulcoré.

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