20ème anniversaire du refus de l'adhésion de la Suisse à l'EEE : Vous n'en vouliez pas ? Vous y êtes...


Le 6 décembre 1992, proclamé « dimanche noir » par le Conseiller fédéral Jean-Pascal Delamuraz, les Suisses refusaient la proposition du Conseil fédéral d'adhérer à l'« Espace Economique Européen ». Vingt ans après, les media sont pleins de commémorations, les vaincus du 6 décembre 1992 de perplexité sur les causes de leur défaite, et les vainqueurs de fierté d'avoir réussi à préserver la souveraineté, l'indépendance, la liberté du pays face au monstre totalitaire bruxellois. Et tout se passe comme s'il fallait à toute prix camoufler cette évidence : la Suisse a eu beau refuser l'EEE le 6 décembre 1992, vingt ans après, elle y est en plein, et dans un espace européen plus qu'économique : policier et migratoire aussi, entre autres. 120 accord bilatéraux la lient à cette Europe dont elle affecte de se croire indépendante, mais dont elle est désormais une sorte de protectorat, de dominion. La Suisse a refusé l'EEE il y a vingt ans ? La belle affaire... Depuis, elle a accepté Dublin, Schengen, les bilatérales, elle soutient le cours de l'Euro à bout de bras et de francs suisses et les entreprises suisses ont intégré les normes européennes à leurs produits...

«  j'aime pas l'Europe, j'en suis... »

l fut un temps, fugace et que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître, où l'europhilie était du dernier cri politique. Ce temps est révolu : on ne parle plus de l'Europe et de l'Union Européenne que pour les vomir et le PS est le dernier parti à se prononcer encore favorablement à une adhésion de la Suisse à l'Union Européenne, mais sans en faire un thème essentiel, moins encore une priorité, et même en évitant soigneusement le sujet, pour ne veut plus laisser croire qu'on y croit encore. L'opinion publique, il est vrai, est devenue largement eurosceptique -voire europhobique. Non seulement les partis de droite «  pro-européens »  dans le passé ont retourné leur veste, mais ils ont été suivis dans cet exercice par les Verts. En Romandie, où l'adhésion à l'Union Européenne rencontrait l'assentiment d'une majorité dans les sondages, une majorité se dessine aujourd'hui pour exprimer un refus de l'adhésion. Et pourtant, jamais cette Suisse europhobe n'a été aussi profondément insérée, économiquement, matériellement, démographiquement, dans cette Union Européenne qui semble la terroriser : il y a en Suisse, aujourd'hui, trois fois plus d'Allemands et deux fois plus de Français qu'il y a trente ans, et la population suisse de nationalité étrangère augmente chaque année, provenant en très grande majorité (les deux tiers, l'année dernière) de l'Union Européenne...

Tout se passe ainsi comme si les Suisses se sentaient d'autant moins Européens qu'ils l'étaient plus en réalité.  L'ASIN et l'UDC peuvent bien célébrer à grands renforts de cloches de vaches, de cors des Alpes, de Windisch et de Blocher leur victoire de 6 décembre 1992: en 2012, qu'elle l'admette ou pas, leur Suisse est précisément dans la situation qu'elle croyait refuser en 1992: le cul entre deux chaises, dans l'Europe sans pouvoir y peser, contrainte par la simple et lourde réalité de respecter des décisions européennes auxquelles elle ne peut prendre aucune part... Pour échapper, non pas tant à l'adhésion elle-même qu'à la nécessité de se prononcer clairement sur elle, la Suisse a choisi la voie sans issue des « bilatérales » : aller plus loin, se poser la question de l'adhésion, envisager de prendre part aux décisions qu'on est déjà contraints à appliquer sans avoir pu participer à leur élaboration, cette voie-là est obstruée par l'europhobie majoritaire de l'opinion publique -une europhobie d'ailleurs largement alimentée par l'Union Européenne elle-même, et les choix politiques et économiques qu'elle fait et impose aux plus faibles de ses membres. Que le Conseil fédéral se pose des questions sur les relations de notre beau pays avec (pfoui !) l'Union Européenne, c'est bien. Reste à savoir si ce sont les bonnes questions, et s'il sera capable de leur donner une bonne réponse. Comment reprendre le droit européen tout en continuant de faire croire à la souveraineté intangible de la Suisse ? Comment contrôler l'application de ce droit à l'élaboration duquel la Suisse ne prend aucune part ? Il y a à ces questions, autant de réponses que de Conseillers fédéraux : chaque ministre a son dossier prioritaire qu'il veut faire avancer plus vite que le dossier du voisin : Doris Leuthard celui du marché de l'électricité; Johann  Schneider-Ammann celui du libre-échange agricole; Eveline Widmer-Schlumpf celui de la fiscalité, et le reste à l'avenant...

Dix ans après le refus de l'adhésion à l'EEE, il n'y a plus que 11,5 à 16 % des Suisses-ses qui soutiendraient une adhésion à l'Union Européenne.  Blocher et l'UDC peuvent bien brâmer leur dénonciation d'une tentative du Conseil fédéral d'« adhésion sournoise à l'Union Européenne », ils sont les premiers à savoir que cette menace n'est qu'un épouvantail. 
Et c'est ainsi que la Suisse et l'Europe se retrouvent comme ce «  vieux couple qui refuse de se marier » à quoi Swissinfo les compare. Un vieux couple qui refuse même d'admettre qu'il est un couple, et à qui on dédiera pas la sublime «chanson des vieux amants» de Brel, mais le déprimant «tu te laisses aller»  d'Aznavour...
Ah, on allait oublier :  l'Union Européenne a reçu le Prix Nobel de la Paix. Et Ueli Maurer est président de la Confédération.

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