A propos d'une demande de levée d'immunité...


Règlement de comptes truqué


La levée de l'immunité de deux anciens magistrats de la Cour des Comptes, Daniel Devaud (démissionnaire) et Stéphane Geiger (qui n'avait pas sollicité un nouveau mandat) était à l'ordre du jour (mais à huis-clos) du Grand Conseil genevois, fin décembre .  La demande du procureur général Jornot a été satisfaite. Pour être franc, jusqu'à ce qu'on nous somme quasiment de dire ce qu'on en pensait, on s'en tamponnait un peu la conscience politique, mais les raisons, ou plutôt les prétextes, de Jornot fleurant le pur et simple règlement de comptes truqué à l'encontre de Devaud (Geiger n'étant de toute évidence visé que comme un leurre,  pour faire « équitable »), il n'est peut-être pas totalement inutile de glisser quelques mots d'un principe contestable,  celui de l'immunité, et d'une mesure, la levée de cette immunité, tout aussi contestable vu les justifications que le procureur lui donne...

Immunité missa est

Il fut un temps, celui des monarchies absolues, où l'immunité des parlementaires et des magistrats les protégaient des princes. Mais dans une démocratie, si imparfaite qu'elle soit, et dans une République, si oublieuse qu'elle puisse être de ce qui la fonde, c'est-à-dire dans un système où le prince est supposé être le peuple, de qui l'immunité protège-t-elle celui (ou celle) qui la détient ? du peuple ? du parlement ? du gouvernement ?
Nous en tenons ici, dans une vieille tradition de gauche, pour l'égalité, et pour la fin de tous les privilèges. Nul ne devrait donc disposer d'une  « immunité »  niée aux autres (ce qui en fait un privilège, et qui constitue une inégalité) : ni juges, ni magistrats d'aucune sorte, ni députés, ni ministres, ni princes, ni chefs d'Etat. D'ailleurs, en tant que conseillers municipaux, nous n'en disposons d'aucune (il ne manquerait plus que cela...), et c'est fort bien ainsi. Bref, si la loi est la même pour tous, et si tous sont égaux et toutes égales devant la loi, toute immunité est inacceptable. D'ailleurs, au nom de quoi, au nom de qui, l' accorder  ? Au nom du peuple, qui n'en dispose pas, et à qui nous avons à rendre des comptes ? L'immunité rend irresponsable, et le moins que l'on puisse exiger d'hommes et de femmes à qui l'on confie un pouvoir (et qui ont demandé qu'on le leur confie : aucun député, aucun magistrat, n'a été contraint de l'être... et Devaud y tenait fort) est bien d'être capables d'assumer la responsabilité de leurs actes, de leurs écrits, de leurs paroles.
Cela étant, les immunités perdurant, de quel droit lever une immunité une fois qu'elle a été accordée ? Du droit du plus fort ? Du droit d'une majorité gouvernementale ou parlementaire disposant elle-même d'une immunité ?

Daniel Devaud est accusé, stupidement, d'avoir violé son secret de fonction. Stupidement, parce qu'il n'a fait que transmettre à son autorité de tutelle (ou plutôt de "haute surveillance"), le parlement, des informations qu'il était non seulement en droit, mais même en devoir de lui transmettre. Quant au  « secret de fonction », on a déjà eu ici l'occasion de dire tout le mal que l'on pensait de cette obligation de silence faite à des magistrats, des députés, des conseillers municipaux, de ne pas transmettre à leurs mandants (à ceux qui les ont élus ou aux instances qui les ont désignés) des informations dont ils disposent, précisément en tant que membres d'une instance où ils ont été élus par le peuple (c'est le cas de Devaud) ou désignés par un parlement, après que leur candidature y ait été présentée par leur parti. Le seul reproche qu'on pourrait faire à Daniel Devaud n'est donc pas tant d'avoir « violé » son secret de fonction, que de s'y être au contraire tenu trop longtemps. D'avoir, en somme, été trop respectueux des usages, des normes et des institutions.
Il est vrai que ce défaut est largement partagé à gauche, qu'y règne une sorte de course éperdue à la respectabilité, et que notre camp aurait plutôt tendance à se targuer d'être plus légaliste que la loi, quand il nous semblait qu'il était celui qui voulait la changer et qu'il fut un temps où il n'hésitait guère à la retourner contre elle-même.
O tempora, o mores...

Commentaires

Articles les plus consultés