Péripéties à gauche de la gauche : Alternative ? Mais à quoi ?

A Genève, la proposition d'une « alterliste » rassemblant, à la gauche du PS, non des mouvement et partis en une sorte de cartel électoral mais des personnes indépendamment de leurs affiliations partisanes (quand elles en ont), a fait long feu, désarmée par les logiques d'appareils et les réflexes de survie des organisations existantes. Dans le canton de Vaud, le vice-président du POP, las des divisions et des « bisbilles » de la coalition de la « gauche de la gauche », démissionne de son poste et de son parti... Frédéric Charpié, secrétaire national de « La gauche », a parfaitement raison de considérer que ces péripéties n'enterrent pas la gauche alternative romande. Cependant, elles posent la question, centrale, du sens que l'on donne à ce qualificatif, « alternative », et de la capacité des organisations qui s'en parent à en faire autre chose qu'une autoproclamation, une nostalgie ou une posture...

« Ce qui est, est : le reste, faut voir » (Jean-Baptiste Botul)


La gauche est minoritaire politiquement dans presque toutes les institutions politiques, alors qu'elle est, au moins potentiellement, majoritaire sociologiquement, et que dans un canton comme Genève, pour prendre un exemple au hasard, elle « pèse » électoralement (cette mesure n'étant évidemment pas la seule, ni la principale, dont on puisse faire usage) au moins 45 % des suffrages. Ses modèles d'organisations ne sont pas pour rien dans cette situation, ni les règles de fonctionnement de ses diverses composantes, ni leur incapacité à s'unir au-delà des échéances électorales (et encore, quand elle y parvient), ni leur étrange incapacité à se voir telles qu'elles sont et leur non moins étrange propension à se prétendre telles qu'elles ne sont pas -ou plus depuis longtemps. C'est ainsi que depuis des lustres, la «gauche de la gauche» n'est plus qu'un mime de la social-démocratie, une sorte d'ombre du PS, sans les moyens du PS. Une ombre, ou une mauvaise conscience, rappelant aux socialistes ce qu'ils devraient faire s'ils agissaient en socialistes. Mais à se définir ainsi, constamment, par rapport au PS, cette « gauche de la gauche » finit par lui ressembler bien plus qu'elle ne l'avoue. Et la voilà respectant les mêmes règles, convoitant les mêmes postes, développant les mêmes logiques, et, souvent, faisant les mêmes propositions que le PS. Seul, encore, le langage l'en différencie parfois. Et les choix tactiques.

Au fond, le seul modèle d'organisation qui pourrait convenir à une organisation politique « alternative » est, ou serait, un modèle sans aucune hiérarchie, sans instance de direction, et donc sans perte de temps, d'énergie et de ressources matérielles consacrées dans les organisations existantes à faire « circuler l'information » de haut en bas et à faire fonctionner les instances de l'organisation. Pas de délégation de pouvoir, des mandats limités dans le temps, révocables, non renouvables et non cumulables. C'était un peu ce que proposait Julien Nicolet à Genève, avec son « alterliste » fédérant « par le bas » des individus indépendamment de leur adhésion (ou de leur absence d'adhésion) partisane, et c'était aussi un peu ce que tentait La Gauche. Et ces deux tentatives se sont heurtées aux mêmes obstacles : les logiques d'appareils et les « patriotismes d'organisation ». Fédérer la gauche de la gauche « par le bas », c'est en effet condamner les organisations qui s'en réclament à disparaître, ce à quoi elles se refusent, ou à fusionner en un grand mouvement, ce dont elles se révèlent incapables. Dans son blog, Julien Nicolet, constatant l'insuccès de son appel à la mise en place d'une « Alterliste », forme le voeu que « les mouvements de gauche réussissent à appliquer à eux-mêmes les valeurs qu'ils affirment partager : l'égalité, la liberté, la tolérance et le respect des avis minoritaires ». Mais ces valeurs sont, chacune, et plus encore toutes ensemble, contradictoires des logiques d'organisations, et de partis. Là encore, la «gauche de la gauche» ne se différencie pas du PS et les mêmes questions se posent à elle et lui : Quel rapport entretenir aux institutions politiques (et aux élections) ? La participation, réelle ou espérée, à des exécutifs (municipaux et cantonaux pour la « gauche de la gauche », fédéral en sus pour le PS et les Verts) est-elle compatible avec un programme de changement de la société, et donc de ses institutions ?

Nous devrions ne prendre nos organisations que comme on prend un outil, savoir nous en déprendre comme l'on se dévêt, et nous garder de nous en vouloir être ni les chefs, ni les instrument; nous devrions ne tenir aucun pouvoir pour respectable pour la seule raison qu'il est un pouvoir, ni aucune institution pour légitime pour la seule raison que la majorité de nos semblables l'acceptent comme telle; nous devrions ne nous tenir nous-mêmes pour investis d'aucune mission et ne nous tenir pour indispensable qu'à nous-même. Et encore. Nous devrions refuser de faire cadeau de notre liberté à ceux qui ne savent en faire aucun usage. Nous devrions enfin ne pas attendre qu'on nous écoute pour parler, qu'on nous comprenne pour expliquer, qu'on nous suive pour agir, et ne pas attendre d'avoir tout prêt, sous la main, complet et définitif, le modèle de la nouvelle société, pour nous défaire des règles de l'ancienne. A commencer par celles du « patriotisme d'organisation » et de la discipline de parti... du nôtre, le PS, et, camarades de la « gauche de la gauche », des vôtres...
Mais d'un tel exercice, en sommes-nous, et en êtes-vous, encore capables ?

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