Qu'est-ce que la France fait au Mali ? Le gendarme ?

Au Mali, contre les islamistes, la France s'est faite gendarme de l'Europe. Pour prévenir la prise de Bamako par les djhadistes, mais aussi, peut-être bien, pour éviter que, la situation dégénérant, une partie des 400'000 réfugiés maliens (250'000 déplacés à l'intérieur du pays, 150'000 réfugiés au Niger, en Mauritanie et au Burkina Faso) ne fasse le choix de la migration européenne. Remettre de l'ordre au Mali, y restaurer quelque chose qui ressemble à une autorité : Le soutien européen à l'intervention française au Mali ne pourrait-il pas s'expliquer aussi par l'espoir d'éviter que trop de Maliens ne viennent en Europe ?

« Moi président de la République »... et de la Françafrique ? 

François Hollande, président « normal » mué en chef de guerre, l'a reconnu : l'opération «Serval» ne pourra pas liquider l'islamisme armé au Mali en balançant quelques missiles sur des convois de 4x4 ou des camps djihadistes.  Que peuvent des opérations « Serval » contre des organisations comme  Aqmi, le Mujao ou Ansar Eddine? Les repousser hors des villes, sans doute -mais des membres de ces organisations y resteront tout de même, clandestins fondus dans la population. Détruire des colonnes blindées, ou des camps dans le désert ou la savane, sans doute aussi -mais les combattants se disperseront et se regrouperont plus discrètement. Le gouvernement malien, son armée, les contingents africains et l'armée française contrôleront les villes et les grandes routes. Mais le Mali est immense et ses frontières, tracées au cordeau lors de la colonisation et ne correspondant à aucun tracé naturel ni à aucune délimitation humaine, sont incontrôlables (l'Algérie a bien annoncé avoir fermé les siennes, mais comment fermer une ligne de 1000 kilomètres de désert ?).
Soutenue politiquement par l'ONU, plusieurs pays occidentaux et les Etats ouest-africains de la CEDEAO, avec quelques mesures matérielles plus ou moins symboliques,  la France est pour l'instant, sur le terrain, à peu près seule face aux djihadistes (l'armée malienne est en deuxième ligne, dans les fourgons de la française, et semble surtout s'occuper d'épuration ethnique anti-.touareg). Juridiquement, son intervention s'appuie sur un accord de défense passé avec le Mali, sur la charte des Nations Unies, sur l'appui des Etats ouest-africains et même sur la connivence de l'Algérie et des rebelles touaregs. Politiquement, elle est, en France même, largement soutenue (à deux critiques près, celles de Jean-Luc Mélanchon et de Dominique de Villepin). Officiellement, l'intervention française est un appui à une reconquête du nord du Mali par l'armée malienne. Officiellement. Mais sur le terrain, ce ne sont pas les Français qui apportent leur soutien aux Maliens, ce sont les Maliens qui accompagnent les Français.

Le Mouvement national pour la libération de l'Azawad, proclamant l'existence d'une nation touareg, s'était, contre nature (il est laïc), allié aux islamistes armés (touaregs, eux aussi) d'Ansar Eddine. Mais les djihadistes se contrefoutent du droit des touaregs à disposer d'eux-mêmes : proclamant qu'il n'y a qu'une souveraîneté, celle de Dieu, qu'un droit, la charia, qu'une nation, l'islam, ceux d'Aqmi et du Mujao ont éliminé le MNLA du terrain, ont pris sa place, et, avec Ansar Eddine sont lancés vers le sud au printemps et à l'été de l'année dernière. Et les villes sont tombées les unes après les autres : Tessalit, Aguelhok, Kidal, Tombouctou, Gao, Léré, Kona, Douentza. Lorsque les djihadistes ont atteint Mopti, s'ouvrant la route de Bamako, la France est intervenue (plus tôt que prévu) pour les stopper, l'armée malienne s'en révélant incapable -et les djihadistes se révélant mieux armés (notamment grâce aux armes sorties de Libye à la chute de Kadhafi) que prévu.
Les djihadistes ont donc été stoppés par l'intervention française, mais elle ne les chassera pas du Mali (et moins encore de l'immense zone sahélienne). Elle en préservera certes le sud du pays et en protégera pour un temps ce qu'on pourrait, cyniquement, considérer comme le « Mali utile », celui des villes, celui que visitent les touristes, celui de Bamako et de Tombouctou, mais ensuite, une fois les Français repartis (puisque François Hollande et Laurent Fabius ont assuré qu'ils n'étaient pas là pour rester) ? 
 
C'est grand, le Mali. Et c'est pauvre, le Mali. Et c'est traversé de conflits sociaux, politiques, culturels, le Mali. Et dans ce grand, pauvre et conflictuel Mali, les islamistes n'auront pas disparus, ni leurs soutiens. Or nul n'accorde aux contingents africains de la CEDEAO beaucoup de chances, une fois les Français repartis (s'ils repartent), de préserver réellement le Mali d'un retour des djihadistes, et si ce retour se fait, de les chasser à nouveau -mais les chasser où ? Au Niger, en Mauritanie, où il faudra à nouveau en protéger le régime en place ?
Les gouvernements français depuis vingt ans jurent en avoir fini avec la « Françafrique ». Mais la «Françafrique», elle, n'en a pas fini avec la France : avant le Mali, la France est intervenue militairement en 2011 en Côte d'Ivoire pour chasser Laurent Gbagbo du pouvoir, puis en Libye pour contribuer à renverser Kadhafi, puis en Centrafrique pour dissuader des rebelles de dégommer le président en place. Et aujourd'hui, il semble bien que ce ne soit pas François Hollande qui se veuille « président de Françafrique », mais son collègue malien qui tienne à le considérer comme tel...
Devoir choisir entre l'ancien colonisateur et les fous de Dieu : l'alternative proposée à une bonne partie de l'Afrique, plus d'un demi-siècle après la « décolonisation », est exaltante...
Et Thomas Sankara, décidément, manque cruellement...

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