Retour de Dieu au magasin ?

L'après Avent

Nous sommes sortis de l'Avent, nous avons passé l'Epiphanie, nous avons quelques mois de répit avant Pâques, nous pouvons donc nous reposer de ce qu'il reste de références religieuses à nos calendriers, et qui a désormais moins d'emprise sur nos contemporains que les appels à nous plonger dans la frénésie consumériste des « fêtes ». Mais on nous convie tout de même encore à faire comme si Dieu n'avait pas été emballé dans un paquet cadeau avec bon de retour et d'échange au magasin. Or peu nous chaut le dieu qu'on nous prône, il nous sera toujours de trop.


« Qui sacrifiera à autre Dieu qu'au Seigneur seul soit malsacré » (Exode XXII.19, traduction Castellion)
Le rituel médiatique de fin d'année a été respecté : nous avons eu droit à tout ce qu'il convient de nous asséner entre la mi-décembre et le début janvier. Les rétrospectives, les films familiaux, les bêtisiers, les voeux présidentiels, les daubes habituelles... et les célébrations religieuses idoines. La messe de minuit, le culte de longue veille, la bénédiction papale, le patriarche latin à Bethléem, les crèches, un petit bout d'orthodoxie autour du 6 janvier etc... etc.. En doit-on, aventureusement, déduire que nos sociétés seraient, fondamentalement, restées « chrétiennes » et savent ce que ce qualificatif signifie ? Même celles et ceux qui ont empli les églises entre le 24 décembre et le 6 janvier savent bien que non -d'autant que nombre d'entre eux n'y mettent les pieds et l'âme qu'en ces seules occasions. Et si peu religieux que nous soyions, nous nous prenons à regretter cette inculture et cette amnésie, même si de fin, du début ou de milieu d'année, les bondieuseries rituelles nous gavent -celles des religions concurrentes ne nous siéent d'ailleurs pas plus: nous ne sommes pas plus islamophobes que christianophobes ou judéophobes, nous sommes théophobes.

Il y aurait, grosso modo, deux manières de concevoir la liberté religieuse dans une société religieusement plurielle, où différentes religions coexistent (passer de la pluralité au pluralisme, du simple constat de l'une à la revendication de l'autre, c'est affaire de projet politique) : la première manière est libérale, au sens philosophique du terme, et peut parfaitement s'inscrire dans une adhésion religieuse, la seconde est républicaine, au sens politique du terme, et ne peut être que laïque -ou plus précisément, puisqu'il s'agit de projet politique, laïciste. La libérale postule une totale liberté religieuse, et implique donc que des croyants puissent s'en remettre de l'exercice personnel de cette liberté aux décrets d'une autorité extérieure (une église, un curé, un pape, un consistoire, un imamat, un califat...); la républicaine fait garantir cette liberté par l'Etat, ou par quelque collectivité publique ayant  le droit d'obliger des communautés religieuses à respecter la liberté individuelle de leurs membres, leurs droits fondamentaux et les droits fondamentaux des membres de toutes les autres collectivités religieuses, et de toutes celles et de tous ceux qui n'adhèrent à aucune religion. C'est de celle-là dont nous sommes aujourd'hui héritiers. Mais cet héritage coexiste avec une inculture religieuse et philosophique qui le dilapide : à quoi sert de reconnaître les libertés religieuses dans une société plurielle si on ignore le contenu des religions ? Même, ou surtout, pour le combattre, il faut le connaître, ce contenu.
On trouve des intégristes dans toutes les religions pratiquées en Suisse, et si l'intégrisme et le fondamentalisme se nourrissent, pour la combattre, de la distance majoritaire prise à l'égard des religions, ils se nourrissent surtout de l'inculture religieuse, et se combattent moins les uns les autres (intégristes chrétiens contre intégristes musulmans, par exemple) qu'ils ne combattent ensemble contre le relativisme religieux (pour ne rien dire de l'agnosticisme et de l'athéisme), d'où la présence désormais constante dans le débat public de thèmes religieux (minarets, voile, crucifix dans les écoles ou sur les montagnes, « blasphème », créationnisme...) qui ne sont plus réellement admis comme fondamentaux que par une minorité de la population.
Mais ça nous fait une belle jambe, si cette minorité sociale devient une majorité dans les urnes, quand des taborniaux désespérés d'être minoritaires veulent imposer leur taborniauderies, et parfois y parviennent, à la majorité qui n'en a rien à secouer...

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