Un vieux projet socialiste récupéré par l'UDC : Que le peuple élise son gouvernement !

Le jeu politique s'étant joué comme à l'accoutumée, le nouveau président de la Confédération s'appelle... Ueli Maurer. L'unique UDC du gouvernement, l'homme qui trimballe assez de casseroles accrochées à ses basques pour laisser croire qu'il représente non l'UDC mais Girard Aux Grottes, le Ministre de la Défense qui a plus fait pour l'abolition de l'armée que le GSSA... a été élu par les Chambres fédérales sans la plupart des voix de la gauche, mais avec celles de son parti, et presque toutes celles du PDC et du PLR. Et cela a suffi. La droite démocratique a donc voté pour un homme qu'elle croit incapable d'exercer la fonction à laquelle elle va l'élire, pour sauvegarder ses propres intérêts et éviter de donner un argument supplémentaire à l'UDC pour promouvoir son initiative en faveur de l'élection du Conseil fédéral par le peuple. Par 128 voix contre 45, le Conseil national, après le Conseil des Etats, a refusé de soutenir cette initiative. Qui, soit dit en passant, reprend une vieille revendication socialiste... Mais la faute à qui, si l'UDC récupère un vieux projet de gauche ? A l'UDC qui le dessert, ou à la gauche qui l'abandonne ?

Tant que ce peuple se résigne à être gouverné et se sent incapable de se gouverner lui-même...

L'élection du Conseil fédéral par le peuple, sous une forme ou une autre, est une vieille idée de gauche -mais il ne s'est trouvé mardi au Conseil national qu'un seul député réputé être de gauche, le Vert zurichois Bastien Girod, pour soutenir la version qu'en proposait l'UDC. Il est vrai que le projet udéciste souffrait de bien des défauts : il ne laissait que deux sièges aux « non-alémaniques », ce qui équivalait soit à exclure les Tessinois et les Grisons italophones ou romanches, soit à les mettre en concurrence avec les Romands. Il faisait élire ces deux « non-alémaniques » par les Alémaniques comme des « Welches de service ». Il ne posait aucune limite, et aucun critère de transparence, au financement des campagnes électorales. Sous la forme où il était présenté par l'initiative de l'UDC, le projet était donc inacceptable pour la gauche. Mais c'est plutôt affaire de modalités que de principe, car au sein du Parti socialiste le principe de l'élection populaire du gouvernement fédéral, ou à tout le moins d'une ratification populaire de son élection parlementaire, reste défendu (il l'a encore été récemment par Micheline Calmy-Rey, Pierre Maillard, Ada Marra ou Cedric Wermuth) et reste mériter de l'être, même s'il fut brandi, par le PS lui-même, puis par l'UDC, comme ripostes à des évictions ou des refus de la majorité parlementaire d'élire ou de réélire des candidat-e-s de partis qui, du coup, se mirent à espérer que le peuple serait meilleur juge.

Après la non-élection de la socialiste Lilian Uchtenhagen en 1984, des voix s'étaient déjà élevées au sein du PS pour ressusciter le vieux projet. Elles restèrent minoritaires : le PS était depuis quarante ans présent au Conseil fédéral, fût-ce par des hommes qu'il n'avait pas choisi. Le Parti socialiste qui, par deux fois, en 1900 et en 1942, proposa au peuple suisse (qui le refusa par deux fois) d'élire son gouvernement était un parti non-gouvernemental dont la majorité parlementaire ne voulait pas au gouvernement (il ne s'en faudra cependant, la deuxième fois, que d'un an pour que cette attente d'un siège au Conseil fédéral soit satisfaite, la majorité qui refusait auparavant systématiquement d'élire un socialiste comme ministre s'y résolvant au tournant de la Guerre Mondiale, pour marquer ses distances avec une politique ultra-droitière qui avait fait de la Suisse une base arrière de l'Allemagne nazie : lorsqu'un socialiste, Nobs,  est finalement élu au Conseil fédéral, le vent de la guerre a tourné, on est après Stalingrad). Mais les socialistes qui proposent encore en 1942 au peuple d'élire le Conseil fédéral n'y sont pas encore représentés.  Et lorsque l'UDC reprend soixante aans plus tard cette proposition, c'est moins par adhésion à son principe (tous les UDC n'ont d'ailleurs pas soutenu cette semaine au parlement l'initiative de leur propre parti) que pour répondre à l'éviction de son Conducator, Christoph Blocher, viré du gouvernement (au profit, humiliation suprême, d'une dissidente de son propre parti).

Pouvoir élire son gouvernement devrait être, pour un peuple de démocrates qui vote au moins tous les trois mois sur à peu près tout et n'importe quoi, la moindre des compétences -du moins tant que ce peuple se résignera à être « gouverné » et se sentira incapable de se gouverner lui-même. D'ailleurs, nos gouvernements cantonaux (même ceux des cantons bilingues ou trilingues) sont élus par « leur » peuple, et on a bien su trouver les modalités pour qu'en ces cantons les minorités linguistiques fussent représentées constamment au sein des collèges exécutifs. Quelle fatalité pèserait sur le mécanisme politique fédéral, qui le rendrait incapable de concevoir un système d'élection populaire de son exécutif ? Aucune. Mais plus lourd sans doute pèsent à la fois le poids des habitudes (« ça marche bien comme ça, pourquoi changer ? » -comme si « ça marchait » si bien que cela...) et celui des calculs politiques : négocier entre dirigeants de partis dans la touffeur des tavernes bernoises, c'est tout de même plus confortable que devoir convaincre une majorité, même relative, de citoyennes et de citoyens.
C'est que c'est fatiguant, la démocratie...

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