Holocauste : L'amnésie d'Ueli Maurer

Si c'était un homme...

Dimanche, à l'occasion de la Journée mondiale de commémoration des victimes de l'holocauste, le président de la Confédération, Ueli Maurer, n'a évoqué que le rôle de « refuge » de la Suisse durant la Guerre Mondiale. Un refuge, certes, pour quelques milliers de personnes fuyant la guerre, sans compter les militaires (français, polonais, russes) internés en Suisse. Un refuge aussi pour une petite partie des victimes désignées du génocide entrepris par les nazis. Mais par pour toutes celles et tous ceux que les bateliers politiques de la Suisse ont refoulé et remis aux mains de leurs bourreaux, en ayant proclamé que leur « barque est pleine », et en sachant le destin que le IIIe Reich réservait à celles et ceux dont il avait décidé qu'ils et elles étaient des êtres inférieurs dont il fallait purger son « espace vital ». « Nous savions » : c'est ce qu'aurait dû dire le président de la Confédération Suisse,
Et c'est ce qu'il aurait dit,  « si c'était un homme » ...


La Suisse savait, et nous savions déjà qu'elle savait...

On l'avait écrit ici il y a peu : le devoir de mémoire nous gave. Parce que faire un devoir de ce qui est une nécessité ne mène qu'à des contritions impuissantes. La mémoire n'est pas un devoir, elle est une nécessité : on n'avance pas sans elle. On n'est tout simplement pas sans elle. Et le discours d'Ueli Maurer lors de la Journée Mondiale de commémoration des victimes  (de toutes les victimes...) de l'Holocauste, dimanche, est condamnable précisément parce qu'il est un refus de cette évidence, et que ce refus est manifesté un jour où il n'est pas loin de relever de l'obscénité, et qui plus est le jour même où la télévision publique confirmait ce que l'on savait déjà : que la Suisse officielle, à commencer par le Conseil fédéral de l'époque, et les prédécesseurs d'alors d'Ueli Maurer à la présidence de la Confédération, étaient informés, sans contestation possible, des actes d'extermination commis par les nazis dans les camps (et sur le front de l'est, et dans les territoires occupés).

Le Conseil fédéral était donc informé depuis 1942, preuves à l'appui, des assassinats de masse commis par les nazis. Belle découverte : nous, citoyens basiques, étions informés depuis cinquante ans (et nous n'avons pourtant que soixante...) que le Conseil fédéral était « informé ». La négation de sa connaissance du génocide ne convainquait plus personne depuis longtemps, hors ceux qui refusaient a priori, a fortiori et ad libitum d'admettre que le démocratique et neutre gouvernement de la neutre et démocratique Helvétie savait pertinemment ce qui se passait dans les camps de concentration, savait qu'il existait des camps d'extermination, savait les massacres sur le front de l'est et les rafles dans les pays occupés -bref, savait le génocide en marche. Des centaines de télégrammes, de lettres, de rapports détaillés avaient été adressés au Conseil fédéral, dès 1941. Des photos, dès 1942, attestaient de la véracité de ces informations. Mais en même temps qu'il les lisait, le Conseil fédéral décidait de renvois en masse de réfugiés étrangers, en particulier de juifs, en pleine connaissance des risques (pour dire le moins) qu'ils encouraient à retomber aux mains des nazis ou de leurs servants locaux. Nous savions que la Suisse savait, et depuis la publication en 2001 du Rapport Bergier nul dans ce pays ne peut plus aujourd'hui ignorer qu'elle savait .

Personne n'attend de nouvelles excuses de la Suisse pour son attitude pendant la Guerre Mondiale. Ces excuses ont été faites, en 1995, par le président de la Confédération d'alors, Kaspar Villiger. Mais on pouvait attendre au moins du gouvernement fédéral un « nous savions » dont le « nous » n'engagerait évidemment pas personnellement des hommes qui n'étaient pas nés en 1939, mais un Etat assumant sa propre continuité, ses responsabilités et donc l'héritage de tous ses gouvernements légitimes. Quant à toutes celles et ceux qui voudraient eux aussi savoir, septante ans après, ce que savait le Conseil fédéral des années de guerre, nous ne n'avons à leur suggérer que ceci, qu'on ne perdra pas de temps à suggérer à Ueli Maurer : Relisez Primo Levi, Charlotte Delbo, Robert Antelme, Jorge Senprún, Elie Wiesel. Pas par devoir de mémoire, mais parce que, comme l'a dit la vice-présidente de la Fédération suisse des communautés israélites (FSCI) Sabine Simkhovitch-Dreyfus, « il ne s'agit pas seulement de parler du passé » mais aussi de «savoir comment la Suisse agira à l'avenir». Pour qu'elle agisse autrement.
Et parce que « le ventre est encore fécond d'où est surgie la bête immonde ».

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