Interdiction de la mendicité : Lausanne dans l'impasse genevoise ?

Au Conseil communal de Lausanne, mardi dernier, on a débattu de l'interdiction de la « mendicité par métier» avant que d'interrompre cette glose pour la reprendre aujourd'hui. Le débat porte sur le contre-projet, émanant de la  municipalité de gauche, à une initiative de droite demandant d'appliquer à Lausanne une interdiction comparable à celle décrétée à Genève, où elle relève d'un vaste foutage de gueule si l'on s'en tient à son objectif affirmé (l'interdiction de la « mendicité par métier », donc), et d'un dispositif carrément raciste si on examine à qui il s'applique en priorité, sinon en exclusivité : les Rroms. Le contre-projet municipal, soutenu par le PLR, le PS et une partie des Verts, combattu par une autre partie des Verts et par La Gauche, dispose d'une majorité suffisante. Mais qu'est-ce que le PS et les Verts peuvent bien avoir à faire avec une proposition inutile, démagogique et impraticable, à Lausanne comme à Genève ?

Comment traduit-on «  Genferei » en lausannois ?

La Municipalité lausannoise (de gauche) veut «réinvestir l'espace public». Elle a raison : il est inacceptable de laisser privatiser un espace public, comme la rue, que ce soit par des dealers, des teufeurs ou des bagnoles. Et donc, la Municipalité lausannoise va dans l'immédiat (des postes supplémentaires de policiers et d'agents de sécurité publique suivront) dégager l'équivalent (en heures) de 15 policiers pour quadriller son centre-ville. Afin, annonce-t-elle, de le libérer du trafic de drogue et des vols. Et de la mendicité, puisqu'outre son propre plan, la Municipalité soutient un contre-projet à une initiative PLR demandant l'interdiction de la mendicité « par métier ». Mais qu'est-ce que la mendicité vient faire là-dedans, qu'a-t-elle à voir avec les vols et le deal ? Rien. Sauf qu'une partie de l'opinion publique l'y assimile, et que les partis suivent l'opinion publique, même quand elle confond tout. Et qu'elle oublie que le deal naît de la prohibition (prohibez les carambars, vous aurez des dealers de carambars) et la mendicité de la misère. Il est évidemment plus aisé d'interdire la mendicité que de combattre la misère, mais l'interdiction de la mendicité n'est après tout qu'une prohibition comme une autre, aussi inefficace (et dangereuse, puisqu'elle renvoie dans l'illégalité ce qu'elle ne peut abolir, et qui continuera de se faire dans des conditions pires que celles de la tolérance) que toutes celles dont profitent les dealers.
Il n'est donc pas exclu (il semble même probable) qu'une interdiction de la mendicité « à la genevoise » soit décidée à Lausanne. Où on ne voit pas pourquoi elle serait plus efficace, et moins discriminatoire (à l'encontre des Rroms) qu'à Genève, où elle n'a fait qu'engorger les tribunaux et l'Office des Poursuites de condamnations inapplicables et de contraventions impayables (au sens propre comme au sens figuré), après avoir mobilisé pour racketter les mendiants des moyens policiers qui eussent été (et continuent d'être) infiniment plus utiles ailleurs. On veut des chiffres ? En voilà : en deux ans et-demi (de 2009 à fin avril 2011), plus de 10'000 contraventions ont été infligées à Genève à... 234 mendiant-e-s. Qui ne les ont généralement pas payées (et ne le pouvaient d'ailleurs généralement pas), et se sont donc retrouvés aux Poursuites -mais sans adresse à Genève. Les commandements de payer ont donc été adressés en Roumanie, où ils ont certainement été affectés à des usages qu'un vieux reste de décence nous interdit de préciser ici. Des milliers d'amendes infligées à des mendiants Rroms ont été ou vont être annulées, et cinq mendiants stupidement incarcérés pour ne pas avoir payé leurs amendes ont été libérés, après que le Tribunal administratif ait donné raison à l'héroïque association  Mesemrom*, qui recourait contre la notification (coûteuse : 90 balles par notification) de ses amendes dans la Feuille d'Avis Officielle, alors que la loi impose de les notifier aux adresses des amendés -en l’occurrence, leur adresse en Roumanie, figurant sur leur carte d'identité et donc connue de la police puisqu'elle avait notifié l'amende après avoir procédé à un contrôle d'identité. L'étape suivante devrait être la restitution de l'argent racketté dans la sébille des mendiants....
Bref, la loi « anti-mendiants » (c'est-à-dire, soyons clairs : anti-mendiants rroms) n'a produit à Genève que de la paperasse inutile, du temps perdu en procédures absurdes, des moyens policiers et judiciaires gaspillés en efforts infructueux -et de la discrimination ethnique, puisqu'on n'a pas connaissance de mendiants indigènes (car il y en a...) traités comme le sont les mendiants rroms. Même si on admettait la légitimité d'une loi interdisant la mendicité, et nous ne l'admettons pas, on ne pourrait donc que constater, à Genève, son inefficacité -et même sa perversité.

Pour la Conseillère fédérale Eveline Widmer-Schlumpf, «les Roms ne représentent pas un problème en Suisse ». Pour les députés vaudois non plus, il y a peu : ils avaient refusé un projet de loi radical directement pompé sur la grotesque loi « anti-mendiant » imposée par la droite genevoise. La majorité du Grand Conseil vaudois avait alors estimé, comme Laurent Moutinot à l'époque à Genève, qu'il serait indécent de « criminaliser la pauvreté ».  Indécent, oui. Mais pour la droite genevoise, l'indécence était politiquement utile. Pour la droite municipale lausannoise aussi, aujourd'hui.
Comment traduit-on Genferei en lausannois ? On le saura sans doute ce soir. Mais on sait déjà que, pas plus à Lausanne qu'à Genève, la gauche n'a quoi que ce soit à faire en ce combat fondamentalement douteux et pragmatiquement imbécile -sinon le faire cesser.

* Association  MESEMROM, 4, rue Micheli-du-Crest, 1205 Genève
contact@mesemrom.org     www.mesemrom.org

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