Les djihadistes : ennemis au Mali, alliés en Syrie ?

Choisir son camp...

On regarde au journal télé sur les chaînes françaises la progression des troupes françaises au Mali et celle des insurgés anti-Assad en Syrie, on n'est pas franchement désolés de voir les djihadistes être repoussés au Mali, mais on s'interroge sur la suite des opérations, et on aimerait bien qu'on nous explique pourquoi les homologues des gros méchants qu'il faut chasser du Mali seraient des combattants de la liberté qu'il faut aider en Syrie... Oui, on sait, des fois, on pose des questions cons -mais on l'avoue : l'intervention française au Mali nous pose aussi, quelques questions auxquelles nous ne recevons guère, ni n'avons nous-mêmes, de réponses.



Les ennemis de nos ennemis sont-ils forcément nos amis ?


Que l'intervention française au Mali pose quelques questions ne signifie pas qu'elle soit condamnable, mais que pour, éventuellement, la soutenir il faudrait avoir réponse à ces questions qu'on a la faiblesse de trouver pertinentes : qui est l'ennemi ? Le pouvoir malien est-il défendable ? Une fois les djihadistes repoussés, comment garantir les droits des populations du nord du Mali ? Et comment satisfaire les revendications légitimes des Touaregs si on laisse le gouvernement de Bamako, qui les récuse, seul face au mouvement touareg ? La France veut bouter les djihadistes hors du Mali, les « détruire » jusqu'à la dernière « poche ». Vaste programme, dans une région où rien ne distingue aux frontière un grain de sable malien d'un grain de sable algérien, ni ne sépare une dune malienne d'une dune mauritanienne. Et la France est bien seule, ou presque, dans cette opération prévue pourtant depuis des mois, dans un pays où elle fut chez elle (l'ancien Soudan français) et où elle a encore ses habitudes et ses relais...  Le chef d'état-major de l'armée malienne avait beau estimer que les principales villes du Mali, dont Tombouctou, pourraient être «libérées» en moins d'un mois (ce qui fut fait), il sait aussi bien que les militaires français que ce n'est pas en reprenant les villes d'un pays comme le Mali qu'on reprend ce pays lui-même. Dans l'étrange guerre menée actuellement, l'ennemi djihadiste est d'ailleurs invisible, dissout dans le désert, dilué dans les villes ou replié au-delà des frontières. Aussi invisible vivant que mort (puisque les villes reprises sont « nettoyées » de leurs cadavres).

Les troupes françaises ont été accueillies, au sud et au centre du Mali, en libératrices. Mais quand elles pénétreront au nord, les Touaregs ne leur ont pas fait la même fête.  Et s'ils la prient de rester, c'est pour les protéger non plus des djihadistes mais de l'armée malienne... La France veut passer le plus vite possible le relais de son opération malienne aux Africains, mais le pouvoir malien est faible, l'armée malienne plus efficace pour mener des coups d'Etat que la lutte contre les djihadistes, la société malienne est travaillée par la corruption, la division entre le sud et le nord et l'absence de réponse aux revendications des Touareg. Et quelque chose qui ressemble fort à du racisme : sur les pas des forces françaises l'armée malienne règle de vieux comptes et la Fédération internationale des ligues des droits de l'Homme dénonce des exécutions sommaires perpétrées par des soldats maliens contre des Touareg et des arabes. Il faut bien, se souvenir que le conflit actuel est la conséquence directe des effets d'un conflit bien plus ancien puisqu'il remonte à l'indépendance du Mali, entre le nouvel Etat et les Touareg. Et que c'est en s'attaquant aux Touareg avant de s'attaquer à l'armée malienne que les djihadistes d'Aqmi, du Mujao, d'Ansar Eddine et du groupe de l'Algérien Mokhtar Benmokhtar (« ceux qui signent par le sang ») ont déclenché la guerre au pouvoir malien d'abord, avec la France ensuite, et en Algérie au passage.

Il n'y a pas de solution militaire à un conflit comme celui qui a éclaté au Mali. Il n'y a qu'une solution politique, et elle passe forcément par la reconnaissance des Touareg du Mouvement national de libération de l'Azawad (et non les djihadistes) comme partenaires d'une négociation. La France semble y être prête (les Touareg étant ses meilleurs alliés possible pour le contrôle d'un terrain qu'ils connaissent mieux que personne), les Touareg aussi, mais pas le gouvernement malien. En l'absence d'un accord politique, une fois les djhadistes défaits, c'est le vieux conflit entre les Touareg et l'armée malienne qui reprendra. Avec tout l'impact régional qu'il peut avoir : si l'Azawad n'est pas encore un pays, le pays des Touareg est aussi en Mauritanie, au Niger, en Libye et en Algérie. Et les djihadistes eux aussi sont partout, comme l'illustre la meurtrière prise d'otage d'In Amenas, en Algérie.

Les djihadistes maliens et syriens ne sont pas des illuminés solitaires. Illuminés sans doute, mais pas solitaires. Derrière eux, il y a, notamment, les finançant et les armant, le Qatar, et sans doute quelques autres membres de l'Organisation de la coopération islamique (OCI) qui, comme le Qatar, appelle à un « cessez-le-feu immédiat » et à une négociation -mais pas avec les Touareg : avec leurs protégés islamistes. Le président du Haut Conseil islamique malien, qui a précisément tenté une négociation avec les islamistes d'Ansar Eddine, en a constaté l'inanité et apporté un soutien «inconditionnel» à la France qu'il a remercié pour avoir « volé au secours d'un peuple en détresse abandonné par tous les pays musulmans », suspecte certains Etats d'être derrière l'agression «obscurantiste» des djihadistes.

Alors, vieille question à un vieux sophiste : les ennemis de nos ennemis sont-ils forcément nos amis ? Au Mali, l'armée malienne est l'ennemie des djihadistes ennemis de la France -mais en Syrie, les djihadistes sont les ennemis du régime baasiste, qui est aussi l'ennemi de la France. Et au Mali comme en Syrie, les dijhadistes sont les amis du Qatar qui est paraît-il, l'ami de la France, et même le financier de son football.

« La légion saute sur Tombouctou », ça pourrait être un titre de film. Mais sautant sur Tombouctou, la Légion risquait bien d'y tomber sur les amis réels des amis supposés plutôt que sur des ennemis labellisés comme tels...

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